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Césariennes naturelles
Par le Dr. Franck BERNARD

En France, 21% des naissances se font par césarienne. Le nombre de plus en plus important de césariennes a permis de mettre en avant que ce mode de naissance entraînait des traumatismes psychiques non négligeables. La prévalence de l’état de stress post-traumatique en post-partum varie de 1,9 à 5,6 %, quatre à huit semaines après l’accouchement, et de 1,5 à 3 % après six mois (chiffres variables en fonction des études) ; un tiers des femmes décrivent l’accouchement comme une expérience traumatique, et 22 à 30 % présentent des symptômes significatifs quatre à huit semaines après.

Divers facteurs ont été identifiés dans l’apparition de ce syndrome en post-partum,  si certains sont inhérents à la parturiente (trait de personnalité), la naissance par césarienne et le rôle du personnel soignant sont deux des principaux facteurs de risque. La césarienne est pour beaucoup de femmes vécue comme une rupture du projet de naissance, un acte mutilant (caedere = couper) douloureux et associé à une idée collective de danger (1/1500 mortes pour la césarienne sous AG dans les années 1970).
De nombreuses procédures ont déjà été mises en place pour faire baisser les chiffres de syndromes post-traumatiques. Ainsi, la généralisation de l’anesthésie loco-régionale pour réaliser l’intervention et l’évocation de la césarienne lors de l’élaboration du projet de naissance ont permis une certaine participation des femmes à la naissance et ont montré leur effet préventif. C’est cependant insuffisant et l’inclusion de techniques hypnotiques dans une procédure plus humaine et plus simple permet de faire mieux en transformant l’expérience et la perception négative pour se rapprocher le plus possible d’une naissance par voie basse (1).

La patiente se rend au bloc opératoire en marchant, avec ses propres vêtements et non avec la tu-nique de l’hôpital. Elle se change dans un vestiaire attenant à la salle de césarienne. Dans les en-quêtes de satisfaction, la déambulation est toujours très appréciée par les patients : autonomie, dignité, participation sont les mots qui ressortent le plus souvent ; sur le plan médical, la position verticale va améliorer les conditions ventilatoires en optimisant la capacité résiduelle fonctionnelle respiratoire (2).
Après s’être préparée, la patiente entre dans une salle d’opération où tout a été fait pour rendre les choses agréables afin que l’orientation sensorielle soit génératrice d’émotions positives : la lumière est tamisée, des enregistrements de sons de la nature (oiseaux, grillons…) sont diffusés sans exagération, presque de façon imperceptible, la température est idéale et de l’huile essentielle d’orange douce est diffusée.
La voie veineuse est positionnée plutôt sur le bras non dominant, pour faciliter le lien mère-enfant à la naissance. Une technique de confusion est utilisée pour la pose, elle permet une focalisation importante et de créer un espace hypnotique au sein duquel seront délivrées des suggestions très positives. L’explication de la technique a posteriori permet d’optimiser l’alliance thérapeutique.
« Votre farine va toujours à la piscine ?… rassurez-vous c’était juste pour rendre les choses plus agréables, confortables, nous mettons tout en œuvre pour votre confort… »
La rachianesthésie est réalisée en employant la technique la plus adaptée à la patiente, c’est-à-dire en tenant compte de son anxiété. Cela peut aller de simples techniques de communication thérapeutique à une technique d’accompagnement plus formelle, en passant par de l’hypnose conversationnelle. La plus utilisée est une catalepsie : il est proposé à la patiente de tenir le bâtonnet de badigeon d’asepsie, bien vertical, et de ne plus rien faire, une réinitialisation sensorielle est ensuite proposée ; un balancement discret du corps peut être proposé avec une synchronisation sur la respiration pour optimiser et faciliter le pacing. Au moment de la ponction de la confusion peut être associée. Lors-que l’anesthésie s’installe, ce qui arrive très rapidement, les sensations sont ratifiées.
« Vous tenez bien droit ce bâton, vos yeux le fixent jusqu’à ce qu’ils aient envie de se fermer, bien… et vous en faites rien, rien qui ne soit agréable ou confortable, ne rien faire d’autre que de profiter d’un petit moment agréable, de laisser passer les images, les couleurs, les formes…  devant les yeux sans y prendre garde, peut-être que certaines formes se déforment, de laisser passer les sons… de laisser les sensations sans les intégrer, elles restent tout autour comme un rempart protecteur, même les plus agréables pour économiser toute l’énergie dont vous pourrez vous servir plus tard... laisser passer les parfums devant les narines sans jamais les laisser entrer…  ne rien faire d’autre que de trouver dans ce rien, ces petits riens qui font que tout devient tout à coup si confortable et si agréable... un petit rien du tout et le tout est si confortable… et petit à petit, alors qu’une partie de vous s’occupe du confort du tout, des sensations agréables de chaleur s’installent confortablement dans une jambe ou dans l’autre... peut-être dans une fesse au départ... et tranquillement pendant que des sensations de chaleur et de confort s’installent, je vais vous proposer de revenir dans la pièce ici et de retrouver le lit le plus agréablement… »
Après la rachianesthésie, la patiente est réinstallée en décubitus dorsal, un coussin est mis en place sous la fesse droite pour limiter le syndrome cave. Il va alors se passer environ 15 minutes avant l’incision.
Ce temps est mis à profit pour faire une deuxième expérience hypnotique avec une projection conversationnelle dans le futur. Celle-ci est effectuée par multidissociation vers le futur proche. Cela permet de décrire précisément ce qui va se passer et de mettre en place les éléments pratiques pour la participation de la femme. Le père est en général déjà présent lors de cette partie.
« Pendant qu’ici l’infirmière met tout en place pour la naissance, je vais vous expliquer tout ce qui va se passer. Je mets un oreiller derrière la tête de façon à ce que vous soyez installée de manière confortable, l’infirmière désinfecte la peau puis elle installe les champs opératoires qui sont de grands draps tout simples de couleur verte, un drap transparent est mis en place aussi, c’est le seul qui reste au moment de la naissance pour que vous puissiez pousser pour faire naître le bébé. Lorsque le Dr S. ouvre la poche des eaux, son aide aspire le liquide amniotique avec un petit dispositif et le son de cette aspiration est pour moi un signal pour baisser le rideau opaque… Au moment de la naissance, vous inspirez l’air par le nez et le soufflez par la bouche très doucement, comme si ce souffle magique aidait l’enfant à trouver le sien, la sage-femme vous montre l’enfant, le pédiatre effectue les premiers soins, puis l’enfant est placé sur votre poitrine pour faire du peau à peau, c’est un moment merveilleux ; vous pouvez à ce moment choisir un don que vous souhaitez donner à votre enfant, le plus beau des dons, celui qui vous plaît car ce don-là est souvent réalisé. Le bébé reste sur vous le temps de terminer ici puis vous allez tous les trois en salle de protection ; là, l’infirmière vous replace tous les éléments nécessaires à votre confort et à votre sécurité, et alors que vous êtes allongée à regarder ce qui se passe, à l’intérieur du corps il y a des centaines de milliers de cellules qui travaillent pour la cicatrisation, qui font des petits ponts entre elles pour que la guérison soit facile et rapide. Vous y restez 2 heures environ. A un moment donné, vos pieds peuvent bouger, c’est le signe que la sortie de cette salle est proche. Puis vous retournez dans votre chambre, vous pouvez boire puis manger. Thé ou café ? Quelle est la première personne qui vient vous voir ?... C’est le premier jour, les premières tétées… Le jour de la sortie, qui vient pour vous chercher ? Vous sortez, il est 10 heures environ, c’est agréable de retrouver l’air de dehors, qui vient vous chercher ? Puis vous arrivez chez vous. Où habitez-vous ? Quelle est la première chose que vous faites en arrivant chez vous ?… Puis c’est la nuit et le premier matin et tout va bien. Vous avez des visites, qui vient vous voir ? Qu’apportent-ils ?… Et le temps passe agréablement, c’est le bonheur de la vie avec le bébé, et puis le 31 janvier le bébé a un mois, un mois ! Et ce matin-là en le regardant avec amour, vous vous dites : quand je pense que cela fait un mois que j’étais dans la salle de naissance avec l’anesthésiste qui me disait tout ce qui allait arriver et comme tout est arrivé comme il l’a dit si agréablement et avec tant de joie, de bonheur et de confort, un mois déjà… »
Il est important de questionner la patiente en demandant des détails précis, de façon à ce qu’elle soit obligée de se projeter dans ce futur, on profite alors de ces épisodes dissociatifs pour faire des suggestions de guérison, de réhabilitation, de facilité…
En salle d’opération, l’oxymètre de pouls est placé au pied, le brassard à tension à la cheville et les électrodes de scope sur le dos afin de rendre les mains aussi libres que possible, facilitant ainsi le moment où la mère prendra le nouveau-né dans ses bras. Nous ne détaillerons pas les bonnes pratiques développées dans le domaine de la réhabilitation postopératoire (normothermie, prévention anti-émétique, analgésie) qui restent ici bien évidemment de mise.
Après vérification de la qualité de l’analgésie, la césarienne commence. Quelques secondes après  que l’obstétricien a incisé l’utérus, lorsque la tête commence à apparaître, le champ opératoire opaque est abaissé et les parents ont une vue directe sur le site de la naissance qui a été épongé du sang et des liquides par l’aide au préalable. La tête de la maman est aidée à se soulever par le père ; les parents sont focalisés sur ce qui va se passer et l’anesthésiste donne les consignes respiratoires tout en se servant de la respiration pour effectuer un pacing précis. La focalisation, l’émotion, le pacing, le mirroring, un para-verbal adapté et les suggestions ajoutées par l’anesthésiste renforcent le processus hypnotique, ce renforcement est utilisé pour suggérer que c’est la femme qui fait tout. L’enfant sort doucement grâce à ses efforts. Dès lors que la tête de l’enfant apparaît au niveau de la peau au travers de l’incision, le champ opératoire est nettoyé du sang et le père peut être invité à se lever pour assister à la naissance. Alternativement, le père peut aider sa femme à se soulever du plan de la table d’opération pour mieux observer la scène. La naissance est presque spontanée à ce stade puisque le chirurgien va toucher le nouveau-né uniquement en l’aidant à s’extraire en plaçant un doigt de chacune de ses mains dans les aisselles du nouveau-né pour faciliter sa naissance. Dans le même temps, le nouveau-né réalise les mêmes actions que lors d’un accouchement par voie basse : il va ainsi respirer et crier alors que le tronc est encore in utero et que le cordon le relie encore au pla-centa (3).
L’extraction est ainsi prolongée de quelques minutes pendant lesquelles la compression au niveau de l’incision permet l’élimination du liquide amniotique présent dans les poumons, mimant ainsi la naissance par voie basse. Après les premiers cris, le nouveau-né s’agite et extrait souvent lui-même ses membres supérieurs. Il semble aussi que l’appui du corps du nouveau-né pendant cette extraction sur l’utérus réalise une tamponnade et minimise le saignement. L’extraction peut aussi être aidée par les contractions utérines et par la légère poussée exercée par la mère.
« Très bien, l’air entre par le nez, il est frais et il ressort doucement lentement par la bouche, pendant ce temps les mouvements de votre diaphragme poussent le bébé vers la lumière, poussez, soufflez… c’est magnifique ce que vous faites, encore une fois… Oui, c’est bien, c’est comme cela qu’il faut faire, c’est formidable ce que vous faites… regardez, on le voit naître… »
La poitrine de la mère a été préalablement libérée de la blouse de bloc opératoire, et chauffée grâce à un chauffage à air pulsé permettant à la sage-femme ou au pédiatre de poser le nouveau-né directe-ment sur la peau de sa mère. Le cordon est clampé, plutôt tardivement (environ 2 minutes) pour réduire le risque d’anémie du nouveau-né. La pose directe sur la poitrine est possible dans la plupart des cas ; il a été expliqué auparavant aux parents que l’enfant serait pris en charge par le pédiatre avant d’être posé sur la poitrine, cela permet de ne pas inquiéter les parents au cas où des gestes d’aspiration ou autres seraient nécessaires et retarderaient le peau à peau. Quelques instants après, il est proposé au père de couper le cordon.
« C’est génial, grâce à vous le bébé est né si facilement que le pédiatre n’a même pas de soins à faire. »
Le « peau à peau » s’appuie sur le fait que la séparation dès la naissance entre la mère et l’enfant est préjudiciable au phénomène d’attachement (4). Des bénéfices tels que l’amélioration du taux d’allaitement ont été démontrés (5) sans effets indésirables retrouvés. Des effets bénéfiques sur le comportement psychologique du père sont également retrouvés (6).
Après la naissance et la fermeture, le père et l’enfant puis la mère sont transférés en salle de réveil : de préférence, il faut une petite salle intime avec une décoration agréable dans laquelle une infirmière ou une sage-femme continue de surveiller le postopératoire alors qu’une aide puéricultrice aide les parents à s’occuper de l’enfant.
Le concept de césarienne naturelle est établi désormais depuis plusieurs années, il est encore cependant peu appliqué en France. Les équipes qui pratiquent l’hypnose trouveront facilement comment intégrer des techniques hypnotiques simples qui potentialisent les effets bénéfiques de cette procédure. Bien que les avantages de cette technique plus physiologique soient plus que probables, il n’existe à l’heure actuelle pas de preuve scientifique ; cependant les psychologues qui travaillent en maternité observent une nette amélioration du vécu, une disparition du sentiment d’échec ou de frustration des femmes et une diminution des symptômes et syndromes post-traumatiques. Pour les soignants qui participent à ce type de césarienne, il existe une augmentation de la satisfaction au travail, notamment grâce à l’impression d’accompagner une véritable naissance, chaque césarienne devenant ainsi unique et différente, comme celui qui vient de naître.

(1) Wyniecki A., Benhamou D., « Réhabilitation précoce postopératoire après césarienne », Revue médicale Périna, 2012, 4, pp. 119-125.
(2) Nagraj S., Clark C.I., Talbot J., Walker S., « Which patients would prefer to walk to theatre? », Ann R. Coll. Surg. Engl., 2006, 88 (2), pp. 172-173.
(3) Camann W., Trainor K., « Clear surgical drapes: A technique to facilitate the “natural cesarean delivery” », Anesth Analg., 2012, 115, pp. 981-982.
(4) Dageville C., Casagrande F., De Smet S., Boutté P., « Il faut protéger la rencontre de la mère et de son nouveau-né autour de la naissance », Arch. Pediatr., 2011, 18 (9), pp. 994-1000.
(5) Moore E.R., Anderson G.C., Bergman N., Dowswell T., « Early skin-to-skin contact for mothers and their healthy newborn infants » (Review), Cochrane Database of Systematic Reviews, 2012, Issue 5.
(6) Velandia M., Uvnäs-Moberg K., Nissen E., « Sex differences in newborn interaction with moth-er or father during skin-to-skin contact after Caesarean section », Acta Paediatr., 2012, 101 (4), pp. 360-367.s

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