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Conversation de désengagement
Par le Dr. Alain VALLEE

Eprouver de l’aversion par rapport au tabac, à une addiction ou à un trait de caractère (colère, etc.). Exercices pratiques pour amener au désir de changement.

Cet article est destiné à vous apporter un outil conversationnel fort utile en matière de désengagement. Vous en tirerez d’autant plus facilement profit si vous avez déjà lu mon article précédent sur la conversation d’engagement.

Notion d’engagement
Cette notion d’engagement est liée à la psychologie sociale. Je suis engagé dans une décision si j’ai le sentiment :
1. d’avoir décidé librement ;
2. que cette décision est conforme à mes valeurs ;
3. que cette conformité aux valeurs s’associe à une sensation corporelle agréable ;
4. que cette décision n’est pas totalement conforme aux attentes des autres.
En thérapie, ce type de conversation est extrêmement utile pour associer une personne à une exception, pour l’aider à reconnaître comme libres des comportements qui lui apparaissent contraints, pour accepter une prescription, par exemple. Après cette conversation, le sujet est associé à ce comportement qui ne suscite pas plus de conflit.
L’avantage de ce type de conversation sur d’autres modalités relationnelles telles que l’hypnose est la brièveté, ce type d’entretien ne prenant pas plus de deux minutes.

Notions de désengagement
D’un autre côté, j’ai eu l’idée de tenter de mettre en place des conversations de désengagement qui se sont avérées être assez souvent des succès.
J’ai donc choisi de prendre le chemin inverse :
1. le comportement est contraint ;
2. ce comportement n’est pas conforme à mes valeurs préférées ;
3. la conscience de ces « mauvaises » valeurs s’accompagne d’une sensation corporelle désagréable ;
4. et pourtant ce comportement suit le chemin de la facilité et de la passivité.
Ces idées générales étant données, le mieux est de passer à la pratique, à des exemples cliniques.

Exemple du tabagisme
- Thérapeute : « Bonjour ! Vous m’avez dit au téléphone que vous veniez pour le tabac. J’aimerais une précision : venez-vous pour ou contre le tabac ?
- Patient : Contre, bien sûr.
- Th. : Vous me rassurez. Je croyais avoir compris que vous aviez encore très envie de fumer.
- P. : C’est vrai aussi.
- Th. : OK, on va partir de là. Dites-moi, quand vous fumez, est-ce que vous avez plutôt la sensation d’une liberté ou d’une dépendance ? La liberté de celui qui réussit ainsi à montrer qu’il est contre le système de contrainte, ou bien la pauvreté de celui qui ne sait rien faire d’autre que de tenir à la main et de porter à sa bouche un truc qui fait de la fumée ? Quel pourcentage donnez-vous à la liberté, quel pourcentage donnez-vous à la contrainte ?
- P. : Je dirais 30 et 70 !
- Th. : 70, c’est beaucoup plus grand que 30. Donc, globalement, votre comportement est plus contraint que libre. Qu’en pensez-vous ?
- P. : Vu comme ça, vous avez raison.
- Th. : Une autre question. Imaginez qu’un de vos amis vous dise que, s’il est tout seul mais encore plus en groupe, il ne peut pas faire autrement que de tenir un truc à la main et, en plus, il se sent obligé de le sucer, qu’est-ce que vous penseriez de lui ?
- P. : Je penserais qu’il est quand même ridicule.
- Th. (le montrant de l’index) : Et si je vous dis que c’est vous cet homme quand même ridicule, qu’est-ce que ça vous fait là, maintenant, à l’intérieur ?
- P. : Ça serre.
- Th. : OK. Vous avez donc ce comportement qui est beaucoup plus contraint que libre, vous savez que cette faiblesse vous rend ridicule et que ça vous provoque une sensation de serrement dans le corps. Est-ce que c’est d’accord ?
- P. : Oui.
- Th. : Et pourtant, c’est tellement plus facile de faire comme ça, de céder à la passivité, à la facilité, c’est tellement plus confortable, n’est-ce pas ?
- P. : Oui, c’est vrai.
- Th. : Si je résume ce que nous avons dit, vous m’avez dit que l’habitude de fumer du tabac, c’était pour vous plus contraint que libre, que vous pensiez même que vous étiez ridicule d’être accroché à ce truc qui se tient à la main, vous m’avez même dit que ces pensées entraînaient une sensation désagréable à l’intérieur du corps, que ça serrait ; vous m’avez également dit que vous faisiez cela par passivité, par facilité. Est-ce qu’on a bien décrit votre comportement : à 0, je n’ai rien compris, à 100 nous avons bien décrit. A combien êtes-vous ?
- P. : 90 !
- Th. : Une autre question. Maintenant, le sentiment de liberté de fumer, est-ce qu’il est augmenté ou bien est-ce qu’il a diminué ?
- P. : C’est sûr, j’ai moins envie. »

Qu’ai-je fait au cours de cet entretien ?
Sans disqualifier le patient, je l’ai amené avec un questionnement par échelle à « mesurer » liberté et contrainte. Notez qu’à chaque étape je reformule soigneusement l’ensemble pour obtenir un acquiescement, un « yes set ». Comme nous voyons tellement bien la paille qui est dans l’œil de l’autre alors que nous ne voyons pas la poutre qui est dans le nôtre, je suis passé par l’image d’un ami. Cette opinion en terme de valeur va s’associer à une sensation corporelle désagréable lorsque j’amène le patient à intérioriser l’image. Enfin, il ne reste plus que la dernière étape qui, elle-même, va conforter la probabilité d’aversion, à savoir le fait de céder à la facilité, à la passivité. A partir de ce moment, si vous vous sentez à l’aise, vous pouvez laisser le sujet aller avec cela et lui demander d’observer. Vous pouvez aussi, si vous avez un peu de temps, lui proposer une séance d’hypnose. Peu importe son contenu, ce qui compte est qu’elle vous donne le sentiment de bien faire votre travail.
Dans ce cas d’espèce, j’ai surfé sur sa motivation pour travailler ensuite de manière solutionniste que je ne développerai pas plus ici : « OK, en sortant d’ici, vous vous sentez changé, ce que vous appelez “moins envie”. Très concrètement et très simplement, si vous êtes filmé, quels sont les tout petits détails différents que l’on voit et que l’on entend ? »

Exemple d’un trait de caractère, la colère
- Th. : « Donc, si je comprends bien, vous venez me voir car vous êtes de plus en plus gêné par votre côté coléreux. Pourtant, j’imagine que ça fait bien longtemps que vous êtes comme ça, voire même que, pendant longtemps, la colère vous a été très utile et que vous pensez, sans doute, qu’elle peut encore l’être. Pourquoi vouloir changer cela ?
- P. : C’est ma nouvelle compagne. Elle m’a mis un ultimatum. La dernière fois que je suis sorti de ma voiture pour frapper un autre automobiliste, elle m’a dit : “plus jamais ça !” En plus, ce n’est pas la première fois.
- Th. : Donc, pour elle vous êtes prêt à changer quelque chose qui quand même est utile pour vous ?
- P. : Oui.
- Th. : Pourtant, j’imagine que vous êtes attaché à ce genre de comportement, que vous pouvez même vous en glorifier à vos amis, dans les repas ? Et puis, c’est une nouvelle amie, est-ce que ça ne serait pas plus simple de la changer ?
- P. : C’est vrai qu’à un moment je me suis demandé si j’allais tenir. Mais elle est vraiment importante pour moi, je crois que c’est la première fois que je suis vraiment attaché à quelqu’un.
- Th. : Dois-je en conclure que vous venez librement me demander de changer cet aspect ?
- P. : Oui.
- Th. : Si vous venez librement changer cet aspect, est-ce que vous m’autorisez à conclure que le comportement de se mettre en colère est quelque chose qui vient malgré vous, qui est plus fort que vous, et que vous ne pouvez pas contrôler ?
- P. : Oui. Ça a toujours été plus simple de passer ma colère sur quelqu’un d’autre que de la contrôler.
- Th. : Imaginez qu’un de vos amis soit très amoureux. Malgré cet attachement, il ne peut pas s’empêcher de faire un truc qu’elle ne supporte pas. Non seulement il lui demande sans cesse de confirmer qu’elle l’aime, mais aussi il ne peut pas s’empêcher de lui parler sans arrêt de ses difficultés de digestion, de son mal au ventre : qu’est-ce vous penseriez de lui ?
- P. : Je penserais que c’est quelqu’un de faible, trop centré sur lui-même.
- Th. (je pointe mon doigt vers lui) : Et si je vous dis que vous êtes ce genre d’homme faible, trop centré sur vous-même, qu’est-ce que ça vous fait maintenant, à l’intérieur ?
- P. : D’un côté ça me met en colère ; d’un autre, vous avez raison.
- Th. : Excusez-moi : ce que vous dites est certainement vrai, mais je vous ai demandé de me décrire une sensation maintenant, à l’intérieur. Tout de suite, à l’intérieur, qu’est-ce qu’il y a ?
- P. : Une oppression. En même temps, je me sens honteux.
- Th. : Si je reprends ce que nous avons dit à propos de ce comportement de colère. Même si c’est une réaction qui a souvent été importante pour vous, vous me dites que c’est un comportement que vous ne contrôlez pas, qui est plus fort que vous. Ensuite, vous avez accepté l’idée que c’était un signe de faiblesse et d’égocentrisme, à tel point que vous vous sentiez honteux et que ces idées s’accompagnaient d’une sensation d’oppression dans la poitrine. A zéro, je n’ai rien compris à votre problème, à 100, nous l’avons bien décrit : à combien êtes-vous ?
- P. : 98 !
- Th. : Une autre question : est-ce que ce ne serait pas plus simple de renoncer à changer, de recommencer comme avant et de vous laisser aller à vos pulsions ?
- P. : Non. Je comprends d’autant mieux combien le fait de se laisser aller est ce qui m’a entraîné à gâcher une grande partie de ma vie. Je veux saisir ma chance ! »

Qu’ai-je fait dans cette conversation ?
Tout d’abord, je n’ai pas tenu pour acquise la demande de changement car je sais bien qu’en ces matières, c’est un tiers qui est souvent le plaignant. Je lui fais donc valoir l’intérêt qu’il y a à ne rien changer, ce qui l’amène à s’engager un peu plus dans le désir de changement. Au passage, je sème l’idée que c’est plus fort que lui, qu’il ne peut pas s’en empêcher, même s’il peut s’en vanter quelquefois.

En passant par l’image d’un ami plaintif, je fais le pari qu’il va accepter la similitude. Au pire, s’il ne l’avait pas acceptée, j’aurais recherché quelque chose d’autre. Sans lui laisser le temps de respirer, je lui dis que c’est lui, cet homme faible qui est centré sur lui-même. Il tente d’échapper au désagréable en passant dans des descriptions de sentiment, mais mon insistance le ramène à une sensation corporelle désagréable. Comme la colère va avec l’impulsivité, je vais très vite pour lui faire dire avec une question à échelle que nous avons bien décrit son comportement. Je vais enfin confirmer l’engagement en lui proposant de revenir à la facilité, défi ambigu qu’il refuse.

Maintenant il a développé de l’aversion par rapport au comportement et par rapport à l’identité caractérielle d’hommes « emportés ». Désormais le travail que nous ferons va être accepté. Au bout de deux séances d’hypnose acceptation centrée sur la sensation de bouillonnement thoracique et cérébral qui le prenait lors de ces moments de colère, il était très satisfait de pouvoir explorer une vie de couple apaisé, assez content de réussir à vivre le confinement au coin de la cheminée.

Conclusion
Ce genre de conversation centrée sur la liberté ou la contrainte, les valeurs ou le jugement d’autrui et les sensations corporelles est d’une grande puissance. Il suffit simplement d’un peu d’entraînement et ce genre de conversation ne vous prendra que deux ou trois minutes : pourquoi ne pas essayer ?

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