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Hypnose physiologique / pathologique - Porte ouverte entre conscient et inconscient
Par le Dr. Dominique MEGGLE

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Prenez un demi-grain de conscient et un autre, plus grand, d’inconscient. Entre les deux, une porte où circulent un flux d’informations, de données... et à l’inverse les idées, l’intuition, l’inspiration... La porte se grippe quand surgissent la peur, l’angoisse, la phobie et autres troubles. Passage en revue de la psychopathologie à la lumière de l’hypnose.  

Première partie : la fonction physiologique hypnotique

A. Dimension intrapersonnelle
1. Physiologie
Erickson dit que nous avons un esprit composé de deux parties, l’une consciente et l’autre inconsciente. Imaginons-nous comme un grain de café composé de deux demi-grains de taille inégale, collés l’un à l’autre et qui communiquent ensemble au moyen d’une grande porte située à leur jonction. Le plus petit de ces demi-grains est la partie consciente, le plus gros la partie inconsciente.

Le plus petit, l’esprit conscient, traite l’information qui lui arrive de façon logique, digitale. Régi par le principe de non-contradiction, il analyse les données les unes après les autres, mais ne peut pas en traiter plusieurs à la fois. Il travaille finement, mais s’épuise vite à la tâche, si bien que nous ne pouvons réfléchir que quelques heures par jour. Après, nous sommes « saturés » ; plus rien ne « rentre ». Nous en avons tous eu l’expérience lors de nos révisions d’examens universitaires. Le moment est venu de dormir, de nous distraire, bref d’oublier. Oublier, c’est envoyer, par la grande porte signalée, le matériel conscient à l’inconscient pour qu’il s’en occupe à sa manière. Oublier, c’est faire travailler la mémoire inconsciente. Ainsi, après une nuit de sommeil, au matin, tout ce que nous avions révisé la veille se trouve frais et disponible à la demande.

Le plus gros demi-grain, l’esprit inconscient travaille au contraire en permanence, gère des milliers d’informations simultanément, assurant les régulations biologiques du corps et le fonctionnement de la mémoire. Il traite les communications qui lui arrivent de l’esprit conscient de façon analogique, allant chercher les expériences du passé que les nouvelles venues lui évoquent. Dans un premier temps, il n’a pas de souci logique et les contraires peuvent coexister. Dans un deuxième, il se livre à un travail d’analyse et de synthèse, recombinant passé et nouveau jusqu’à arriver à un produit fini qu’il envoie à l’esprit conscient par la grande porte signalée.

Comme un cadeau, l’esprit conscient reçoit ainsi une idée, un sentiment ou un comportement inédit. Ainsi se produisent l’intuition, l’inspiration artistique ou autre, la découverte scientifique et le changement. Nous disons : « une idée m’est venue », preuve que nous l’avons reçue ; nous ne fabriquons pas nos idées consciemment. Archimède crie « Eurêka ! » ; l’écrivain « tient » enfin son œuvre après des mois de stérilité ; sans effort, le fumeur devient indifférent au tabac ; sans se l’expliquer, Aglaé tombe amoureuse ou ne l’est plus ; l’homme qui butait sur un problème ne le trouve plus ; en mars 1918, en se levant après dix heures de sommeil, le maréchal Foch ordonne soudain la manœuvre qui foudroie l’ennemi. Cette double circulation entre conscient et inconscient constitue la fonction physiologique hypnotique dans sa dimension intrapersonnelle.

2. Pathologie et traitement
Mais cette circulation est souvent altérée et la pathologie commence alors. L’esprit conscient se sent limité, précaire : il sait qu’il ne peut pas travailler indéfiniment, il anticipe avec effroi le moment où il devra s’arrêter et oublier. Oublier lui fait peur : il a l’impression que ce qu’il oublie part dans le néant, qu’il ne le retrouvera jamais, que c’est perdu. Il a le plus grand mal à croire qu’oublier fait travailler sa mémoire. S’il cède à sa peur, il mènera des efforts de plus en plus pénibles pour ne pas oublier : « Il faut absolument que je m’en souvienne ! »
Ainsi commence le souci ruminé en boucle. Ainsi commence l’angoisse, qui est, au sens propre, la peur d’oublier et conduit au rabâchage. Connaissez-vous un phobique qui veuille oublier sa phobie, un obsessionnel ses obsessions ? Notons que l’angoisse est toujours consciente. Par définition, il n’y pas d’angoisse inconsciente : ce terme est une mauvaise excuse du conscient qui se défausse ainsi sur son voisin l’inconscient de la peine que lui procurent ses efforts idiots ; c’est commode car l’inconscient, on ne le voit pas ; comme disent les enfants pris en faute : « C’est pas moi, c’est l’autre ! ». Ainsi commencent donc le souci, l’angoisse mais aussi le ressentiment. Combien de fois avons-nous dit après avoir subi un tort : « Ça, je ne l’oublierai jamais ! » Heureusement, la plupart du temps nous finissons par l’oublier ; sinon, nous nous mettons à tourner en boucle et l’agresseur occupe toutes nos pensées. On guérit du ressentiment par la vengeance ou le pardon.

La vengeance consciente est vouée à l’échec, toujours insuffisante ou excessive, perpétuant le trouble intérieur. Pour être réussie, la vengeance doit être inconsciente : on oublie le tort pour le confier à l’esprit inconscient. Alors, au moment fixé par celui-ci, surgira une vengeance efficace, respectueuse, calme et apaisante.

L’autre voie est le pardon. Adolf m’a fait un tort. Il m’a pris quelque chose qui m’appartenait (argent, réputation, carrière, honneur). Il est devenu mon débiteur et moi son créancier. Il doit me rendre ce qu’il m’a volé. S’il le fait, c’est la justice et la paix revient. Mais la plupart du temps, il ne me le rendra jamais. Si j’entre alors dans le ressentiment, je le rends maître de mon intérieur ; moi, son créancier, je deviens son esclave. Constatant que jamais je ne récupèrerai ma créance et que pour autant je n’ai aucune raison de rester son esclave, alors, ce débiteur insolvable, je peux décider de lui remettre sa dette. C’est le pardon. Le pardon libère parce qu’il brise la lourde chaîne de l’esclave du ressentiment. Et la paix revient. Souci, angoisse, ressentiment, que d’efforts toxiques pour ne pas oublier ! Et avec le temps et ces tentatives répétées pour la bloquer, la grande porte sur l’inconscient souffre, elle s’ouvre de moins en moins bien, ses gonds grincent de plus en plus.

Allons maintenant jeter un coup d’œil du côté de l’esprit inconscient. Quand il part communiquer le produit de son travail au conscient, il peut trouver la grande porte close, fermée de l’autre côté par celui-ci, et il ne peut plus lui communiquer aucune inspiration ni intuition. Voilà l’autre versant de la névrose.
Que s’est-il passé ? Le conscient a peur parce qu’il se sent précaire. Le connu le rassure, l’inconnu l’inquiète. Ses petites habitudes, même dangereuses, même catastrophiques, lui sont familières et sont des repères. Il préfère que rien ne bouge au risque fantasmé de se voir bouleversé par du nouveau, même si celui-ci pourrait se révéler sympathique et prometteur. Erickson disait : « Nous apprenons à nous limiter. » Le conscient se limite, se rigidifie. Ne voulant ni oublier ni recevoir du neuf, il s’appauvrit. Il n’a plus désormais que des préjugés. Il est stéréotypé. On dit de lui qu’il est « bouché » et « il n’y a pas d’âge pour ça », comme le chantait Georges Brassens.

A force d’être de moins en moins ouverte, la grande porte sur le conscient s’ouvre de plus en plus difficilement, les gonds font un bruit effroyable. Comment délivrer la personne de ces deux peurs névrotiques, peur de l’oubli et peur du nouveau ? En dégrippant la grande porte pour qu’elle se rouvre à nouveau facilement dans les deux sens. La rééducation de la fonction hypnotique sera son dégrippant, son « WD-40 ». En entraînant le sujet à la transe de plus en plus profonde et à la production de plus en plus facile des phénomènes hypnotiques, surtout de l’amnésie et des actes post-hypnotiques, celui-ci aimera de plus en plus oublier pour avoir de plus en plus de nouvelles inspirations. C’est une kinésithérapie mentale, suivant l’expression d’Erickson, qui le rend à nouveau souple et créatif. Voilà pourquoi les séances d’hypnose sont intrinsèquement thérapeutiques, en dehors même de toute suggestion spécifique au problème ayant motivé la consultation.

B. Dimension interpersonnelle
1. Physiologie
La fonction physiologique hypnotique régit les rapports intrapersonnels mais aussi les échanges interpersonnels.
Sabine, déprimée, enfermée dans sa souffrance, est convaincue que personne ne peut la comprendre. Je dois briser cette conviction pour obtenir un échange fécond. Pour réaliser cette coopération, l’outil royal est la ratification. Je ratifie sa souffrance à Sabine jusqu’à ce qu’une lumière se fasse dans ses yeux qui dit : « Ce gars-là m’a comprise. Enfin, je ne suis plus seule. Lui au moins, il va m’aider vraiment ! » L’espoir revient et elle se met à m’écouter. M’écoutant, elle s’oublie elle-même, oublie ses pensées et ses affects dépressifs ; ce faisant, elle oublie de barricader la grande porte conscient/inconscient qui s’ouvre enfin et peut laisser passer à nouveau des inspirations en elle.

De mon côté, quand je procède à la ratification, je suis entièrement concentré sur Sabine. Je m’oublie complètement, j’oublie mes soucis, mes pensées, mes affects. Seule compte Sabine. Dès lors, j’oublie de barricader ma propre porte conscient/inconscient, laquelle s’ouvre largement et laisse passer des inspirations utiles à la situation.
Cela signifie que quand Sabine reçoit quelque chose de son inconscient et me le communique, cela passe directement dans mon inconscient à travers mon conscient, y favorisant de nouvelles inspirations en retour. Et réciproquement, ce que je dis à Sabine va directement dans son inconscient à travers son conscient pour y favoriser de nouvelles inspirations en retour. Voilà ce qu’Erickson appelait la « communication d’inconscient à inconscient » et voilà pourquoi j’appelle la thérapie un « échange inspiré ». C’est une boucle qui commence par l’amnésie de soi et l’intérêt pour autrui.

2. Pathologie et traitement
La pathologie de la dimension interpersonnelle de la fonction physiologique hypnotique commence avec une plus grande préoccupation de soi et un moindre intérêt pour autrui. Plus celui-ci diminue, plus celle-là augmente, plus les effets sociaux sont dévastateurs, provoquant conflits et guerres entre individus, dans les couples, les familles, les nations et entre les nations. La solution ressortit à la morale : un plus grand intérêt pour autrui, un plus grand oubli de soi.

Deuxième partie : psychiatrie et hypnose

A présent, dans un survol rapide, je voudrais tenter de revoir quelques tableaux de la pathologie psychiatrique à la lumière de la transe hypnotique. Le processus neurologique produit par la focalisation de l’attention et l’absorption interne qui permet la transe et ses phénomènes peut être utilisé de façon pathologique, ou bien être altéré.

1. L’hystérie
L’hystérie repose sur une croyance erronée, celle d’avoir un Moi inconsistant, et au maximum d’être vide. Rien n’est pire que l’indifférence des autres qui renvoie l’hystérique à son sentiment-croyance d’inconsistance et de vide, et alors il déprime sévèrement.
Pour se sentir exister, l’hystérique a besoin de stimuler l’intérêt d’autrui et de le piéger dans des énigmes afin d’entretenir cet intérêt coûte que coûte. Il choisit ses victimes dans des figures trop sûres d’elles-mêmes, particulièrement les médecins. A ceux-là, il oppose des problèmes qui les mettent en échec dans leur champ de compétence. Dans les dépressions et les douleurs chroniques résistantes, on retrouve ainsi bien des hystériques.
L’hystérique peut aussi leur opposer des paralysies, des surdités, des cécités, des amnésies bizarres. Le clinicien, embarrassé, constate que ces symptômes ne sont pas simulés mais leur étude le laisse perplexe. Par exemple, la paralysie ne suit pas les lois de la systématisation neurologique mais seulement l’imagination populaire de ce qu’est une paralysie. En fait, l’hystérique a produit un phénomène hypnotique normal, et il s’en sert comme d’une énigme pour tendre son piège relationnel au clinicien trop sûr de lui. L’hystérique utilise pathologiquement les phénomènes physiologiques de l’hypnose.

Le but stratégique du traitement de l’hystérie est de modifier la croyance que le sujet a de lui-même. Il doit expérimenter qu’il peut se passer de ses énigmes, et que, privé d’elles, il n’en meurt pas et il commence ainsi à éprouver la consistance de son Moi. Le meilleur outil est la « position basse » du thérapeute. Celui-ci adopte une position d’extrême humilité, plaçant le patient largement au-dessus de lui, rendant de ce fait les énigmes impossibles à utiliser et surtout vaines. Le sujet ne peut plus jouer avec un thérapeute qui avoue son impuissance et le reconnaît comme expert de ses troubles. Alors naît une estime réciproque, qui est profondément thérapeutique.

2. Le traumatisme mental
Le traumatisme mental est la conséquence d’un événement pénible qui prend la personne par surprise, la laissant coite, en proie à un sentiment d’impuissance radicale. La surprise provoque une hypnose pathologique instantanée, dissociant le sujet dont une partie reste fixée à l’événement qui le poursuit sans cesse. Le sentiment d’impuissance radicale l’empêche de sortir de cette transe épouvantable, paralysant le mécanisme de réassociation.
Le traitement consiste à sortir le sujet de son sentiment d’impuissance radicale, ce qui est réalisé par une reprise d’action sur l’imagerie mentale de l’événement, la plus minime soit-elle, la plus dérisoire soit-elle. Deux techniques hypnotiques sont possibles. La première, à utiliser en premier, est fondée sur les mouvements alternatifs des yeux. C’est la déjà ancienne EMDR, dont j’ai établi une forme simplifiée, MESMAY (1). Elle guérit deux tiers des traumatisés. En cas d’échec, pour le dernier tiers, on a recours à la modification hypnotique de l’imagerie mentale (MIHM), dite « Photoshop mental ».

3. La douleur
Il existe deux sortes de douleurs, la douleur physique et la douleur morale, qui est la dépression. Elles se soignent de la même manière, avec les mêmes mots, parce que toutes les deux sont des états d’hypnose négative : hypnose parce qu’elles focalisent l’attention et absorbent le sujet à l’intérieur de lui-même ; négative, parce que ce sur quoi il est focalisé et dans quoi il est absorbé est pénible et rigide, totalitaire : la lombalgie, le mal de dent ou le sentiment de sa nullité.
Quand la douleur est modérée, le sujet est dans une transe légère-moyenne : il est en même temps accordé à la situation extérieure et en même temps ailleurs, dans sa souffrance ; c’est un état de co-conscience. Quand la douleur est intense, il est débranché de l’extérieur et totalement plongé dans sa souffrance, son ici est ailleurs, il est en transe profonde. Michael Yapko (2) a montré que les déprimés produisaient toute la gamme des phénomènes hypnotiques, mais toujours dans le même sens, rigide et pénible, là où l’hypnose physiologique est souple et confortable. Dans la dépression, on retrouve ralentissement idéomoteur, catalepsie, distorsion du temps vécu, modifications sensorielles, amnésie, hypermnésie et, particulièrement dans la mélancolie, hallucinations (3).
De ce fait, comme le patient est dans sa bulle hypnotique négative, il se sent misérable et seul : misérable, car il est réduit à plus rien d’autre que sa douleur, et seul, car il est seul à avoir mal et croit que personne, même ceux qui l’aiment, ne peut vraiment le comprendre et donc l’aider.

Le traitement repose sur une base simple : capter l’attention du patient, et la capter énergiquement. C’est hypnose contre hypnose, hypnose thérapeutique contre hypnose négative. Le problème est : qui captera le plus son attention, moi ou sa douleur ? Si je parviens à capter son attention, il n’en aura plus de disponible pour sa douleur. S’il commence à m’écouter pour de bon, il aura moins ou plus du tout mal.
Souvenons-nous de Sabine et de la ratification de sa souffrance. Avec elle, nous avons appris que le but était atteint quand cette jolie lueur s’est allumée dans ses yeux qui disait : « Enfin quelqu’un qui me comprend ! Lui, il a peut-être bien quelque chose d’intéressant à me dire, il n’est pas comme les autres. Ecoutons-le. » L’attention est captée, elle ne se sent plus seule ; la douleur est entamée, a déjà diminué voire disparu ; un échange fructueux peut commencer ; il n’y a plus qu’à entretenir le mouvement.

Longtemps j’ai cru que le traitement hypnotique de la douleur résidait dans les techniques d’anesthésie, d’analgésie, de déplacement, de substitution et autres, et que la ratification n’était que le préalable qui rendait possibles celles-ci. Je me trompais. La ratification est le traitement de la douleur : elle rompt la misère et la solitude en captant l’attention. Désormais, le patient se sent rejoint ; il a confiance en vous, il a déjà moins mal, il vous suivra au bout du monde et vous vous laisserez inspirer par lui dans le choix de l’une ou de l’autre technique secondaire susdite ou une autre dont vous n’avez même pas l’idée aujourd’hui.
Pour capter l’attention du patient et obtenir sa coopération, existent bien sûr d’autres manières de procéder, utiles quand on voit que la ratification passera difficilement : le choc et la surprise, les anecdotes, les petites histoires et les métaphores, voire même l’ennui.

4. Les phobies et les obsessions
Elles relèvent d’un processus de dissociation hypnotique pathologique. En hypnose physiologique, nous connaissons bien ce processus dissociatif, mais il y est agréable, souple et utile : un bras se lève tout seul lors de la lévitation, comme étranger ; une anesthésie se produit dans une partie du corps. Dans la névrose, la dissociation est pénible et rigide. Le sujet fonctionne de façon intégrée sauf dans un domaine qui échappe à son contrôle et suit ses propres lois, indépendamment du reste de la vie mentale. Ce domaine névrotique est « un territoire perdu de la République », rendant l’esprit conscient furieux d’obéir à des pensées qu’il réprouve comme absurdes.

On ne naît pas avec une phobie ou des obsessions. Elles s’implantent. Pour qu’une idée idiote arrive à s’implanter, il faut qu’au moment où elle se présente, l’esprit soit dans un état de faiblesse où il ne fait pas attention. Quand nous sommes en forme, nous faisons attention et balayons les idées idiotes comme de petites mouches inopportunes. Elles passent, tout simplement. Mais à chaque fois que nous ne faisons plus attention, nous devenons hypersuggestibles et nous pouvons contracter une phobie ou des obsessions.

Nous devenons hypersuggestibles à chaque fois que notre attention est diminuée, dispersée ou explosée. Elle est diminuée dans la fatigue mentale, laquelle peut être réactionnelle à des efforts prolongés d’adaptation ou à une asthénie physique (une simple grippe). La fatigue mentale peut aussi être constitutionnelle (psychasthénie de Pierre Janet).
L’attention est dispersée dans tous les états anxieux. C’est même dans la définition de l’anxiété. Elle est aussi dispersée sous l’effet d’une propagande médiatique qui recherche activement ce résultat dans un but de manipulation de masse, par exemple en délivrant des messages multiples, différents, simultanés et rapidement répétés. La dispersion de l’attention, donc l’hypersuggestibilité, peut être individuelle ou collective.

Enfin, l’attention est explosée dans les états de confusion où, privés brutalement de tous nos repères habituels, nous recherchons désespérément du sens : alors, nous sommes prêts à gober n’importe quoi. Ainsi se font les entrées dans les sectes.
Notons qu’à l’opposé, contrairement à ce que Liébault, Bernheim et Charcot disaient, l’hypnose physiologique réalise un état d’hyposuggestibilité parce que l’attention est y est focalisée à l’extrême. C’est l’état de la plus grande intelligence et de la plus grande sécurité pour le sujet (4).

Revenons à notre phobie. Une fois qu’elle est implantée, le sujet part dans une analyse sans fin de son trouble et de ses causes. Il radote interminablement, en boucle, et le raisonnement est le carburant de son angoisse. Supprimez le raisonnement et vous supprimez l’angoisse. Le sabotage de la logique se pratique par un usage large des paradoxes, de la surprise, de la confusion et de l’humour.
La sidération du raisonnement, donc de l’angoisse permet de passer facilement à la deuxième étape, la confrontation à ce qui fait peur. A chaque fois qu’un patient est confronté assez longtemps à ce qui lui fait peur, il est guéri, mais c’est justement parce qu’il en a peur qu’il n’ose pas le faire. Il faut donc développer des ruses adaptées à chacun pour qu’il y parvienne, comme Erickson l’a bien montré. Ces ruses stimulent des affects et des émotions différents de ou contraires à la peur et surtout s’appuient sur les valeurs du sujet. Ainsi celui-ci est réassocié et la République a récupéré son territoire perdu (5).

5. Les addictions
Nous sommes des êtres d’habitudes. Nos habitudes, innombrables, automatisent toutes nos tâches secondaires ; ainsi, l’esprit conscient en est libéré, n’a plus besoin d’y penser et peut se consacrer à ce qui lui paraît essentiel sur le moment. L’habitude est une « macro », comme on dit en informatique, une abréviation, un procédé de l’esprit inconscient au service du conscient. La répétition n’est pas du tout nécessaire à l’installation d’une habitude. Elle peut être contractée dès la première fois, dès que nous y avons vu un profit, un intérêt, un plaisir.
Parmi toutes nos habitudes, certaines peuvent être délétères à plus ou moins long terme, comme la consommation de tabac, d’alcool, de haschich ou de cocaïne. Il n’en reste pas moins qu’à court ou moyen terme, celle-ci peut être très avantageuse pour le sujet. Comme le disait Yves Doutrelugne, « les gens ont toujours une bonne raison de se conduire comme ils le font, même si ce n’est pas la nôtre ». Si le thérapeute n’est pas capable de le reconnaître, il ne fera plus que du contrôle social des individus.

Quand nous avons affaire à ces sujets, je voudrais que, toujours, nous nous rappelions la réponse que Churchill fit à sa femme qui lui reprochait de trop boire : « Cleemie, Cleemie, si tu savais tout ce que ça m’apporte ! » Et j’ajouterai « tout ce que ça nous a apporté », puisque c’est bien grâce à lui, à son champagne, son whisky, ses cigares, son babygros rose et ses longues siestes tout nu comme un bébé, que la Seconde Guerre mondiale a été gagnée sur les nazis.

La ratification sincère et enthousiaste de tous les avantages que l’habitude délétère procure au patient est le fondement de la thérapie. Elle l’apaise immédiatement ; il ne se voit plus comme bon à rien, commence à se sentir plus libre pour choisir son comportement et recourir à son esprit inconscient pour inventer de nouvelles habitudes, plus enrichissantes. Le but de la thérapie n’est jamais de priver le sujet de son habitude, comme le voudrait le contrôle social. En effet pour le patient, avec le produit la vie est vive, en couleurs ; sans lui, elle est terne, en noir et blanc : qui voudrait d’une telle vie ? Il faut au contraire faire imaginer un avenir avec encore plus de couleurs et stimuler un goût irrépressible pour la liberté. L’hallucination hypnotique ou la question miracle des solutionnistes vise ce but.

6. Les psychoses
Pour avoir joué plusieurs fois le psychotique avec des psychotiques, je crois de moins en moins qu’ils aient de véritables hallucinations, hormis dans le syndrome confusionnel parce que, là, l’obscurcissement du champ de conscience permet l’onirisme.

Les sujets atteints de schizophrénie ou de bouffée délirante aiguë délirent. Le délire est un discours ; dans leur discours délirant, ils peuvent raconter qu’ils voient ou entendent des choses qui ne sont pas là, mais ils ne voient ni n’entendent rien ; ils ne croient pas à ce qu’ils disent ; en ce sens, leur délire n’est pas un délire, au sens d’une « conviction de faits non conformes à la réalité ». Le but de leurs propos insensés est, sous la pression d’une angoisse intolérable, de convaincre les autres qu’ils sont fous. Souvent, au milieu de ce fatras bruyant, ils parviennent à raconter un malheur insupportable qui leur est survenu réellement et qui est à l’origine de tout, mais en le faisant passer pour une idée délirante de plus, le disqualifiant ainsi efficacement auprès de leurs auditeurs, mais pour eux seule manière possible de l’exprimer, tellement leur détresse est grande.

La psychose, c’est l’effort d’être reconnu pour fou, d’arriver à être mis à l’écart de la société, d’être aliéné dans une institution prévue pour cela. C’est une stratégie de suicide social. Le suicide est consommé quand on les croit, quand on croit qu’ils délirent ou hallucinent. Mais, ne nous trompons pas, « ils ont tout perdu sauf la raison », selon le mot de Chesterton.
Ce point (avoir tout perdu sauf la raison) est commun avec la paranoïa. Là, la passion logique, l’intensification du raisonnement, sa densification asphyxient toute possibilité d’inédit, d’imprévu et d’inspiration et produisent au contraire une conviction délirante très forte. Les paranoïaques ne partent pas de prémisses erronées, n’ont pas un jugement faux et ne sont pas paralogiques. Il suffit de ne plus faire autre chose que de raisonner logiquement pour aboutir à des conclusions effrayantes et c’est cela qui est effrayant. Aller au bout de son raisonnement est le pire qui puisse arriver à l’être humain (6).

7. La maladie d’Alzheimer
Finalement, où trouve-t-on de véritables hallucinations ? En physiologie dans l’hypnose normale et en hypnopathologie dans la confusion, le traumatisme, la mélancolie, mais aussi dans la maladie d’Alzheimer. Là, le sujet, placé devant le mur glacé de la mort, se reconstitue une vie « vivante », chaude en recourant à ce qu’il a stocké en mémoire, en retrouvant hypnotiquement son passé. D’une certaine façon, il n’a pas de problème de mémoire : il oublie le présent désespérant et revit le passé consolateur au présent. C’est une ressource contre l’accablement, comme Jean-Claude Espinosa l’a bien montré.

Conclusion
Au terme de notre petite promenade au milieu des grains de café, de la fonction physiologique hypnotique, de ses pathologies et de la psychiatrie à la lumière de l’hypnose, je souhaiterais obtenir maintenant de vous, cher lecteur, si je suis ambitieux, une sympathique ratification de mes propos, ou du moins, de façon plus réaliste, une amnésie totale, un oubli parfait de ce que je vous ai raconté.


Notes
1. Megglé D., Le traumatisme mental, signes, diagnostic, traitement, Satas, Bruxelles, 2021.
2. In Megglé D., Les thérapies brèves (5e éd.), Satas, Bruxelles, 2011.
3. Pensons notamment au syndrome de Cotard.
4. Megglé D., L’hypersuggestibilité, « Hypnose & Thérapies brèves », n° 59, pp. 10-16.
5. Megglé D., Les phobies, « Hypnose & Thérapies brèves », Hors-Série n° 15, pp. 156-178.  
6. Cf. Romain Gary, dans Lady L., NRF, Gallimard, Paris, 1963. Son héroïne, Annette Boudin, future Lady L., prend conscience de la paranoïa de son amant, le terroriste Armand Denis : « Plus une logique est rigoureuse, plus elle devient une prison, et la vie est faite de contradictions, de compromis, d’arrangements provisoires et les grands principes pouvaient aussi bien éclairer le monde que le brûler. La phrase favorite d’Armand :“Il faut aller jusqu’au bout” ne pouvait mener qu’au néant, son rêve de justice sociale absolue se réclamait d’une pureté que seul le vide total connaissait. Mais elle n’avait que vingt ans, elle n’avait pas d’instruction, elle ne soupçonnait même pas la puissance destructrice que l’extrémisme de la logique pouvait atteindre aussi bien dans la vérité que dans l’erreur, elle n’avait pas encore vécu au grand siècle de l’idéomanie ; tout ce qu’elle savait était qu’il était tenu par une passion dévorante et qu’elle était obligée de se contenter des restes. »

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