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Le Thérapeute ?
Un guide qui ne devance pas

Par le Dr. Jean-Marc BENHAIEM

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Pour parler de la relation thérapeutique, je me suis appuyé sur le travail de François Roustang qui a merveilleusement décrit ce qui se joue entre le patient et son thérapeute.

Les extraits sélectionnés sont tirés de son ouvrage « Il suffit d’un geste », publié en 2003 aux éditions Odile Jacob.

Après une séance d’hypnose thérapeutique, il arrive que les patients parlent du vécu de leur séance.
Une jeune patiente dit à la fin de la séance :
- « Ce que j’ai aimé, c’est que vous ne m’avez pas jugée. Je me suis sentie libre. »
Et d’autres :
- « Je ressens une légèreté très agréable. »
- « J’avais dans les bras un engourdissement, impossible de bouger. »
- « J’aurais dû venir il y a des années. »
- « Je resterais bien toute la journée ainsi, dans ce fauteuil. »
- « Cela fait très longtemps que je n’avais pas ressenti une telle détente. »
- « Les deux séances que j’ai suivies m’ont aidé considérablement, je n’ai pas besoin de revenir. »

Quel est ce lien étrange et complexe qui s’est établi entre soigné et soignant ? Même bref, il marque le patient parfois pendant des années.
L’alliance semble être un des facteurs spécifiques nécessairement présents en cas de succès thérapeutique . Mais il n’est pas le seul. L’attitude, la personnalité, le talent du thérapeute sont aussi décisifs pour provoquer un changement bénéfique chez le patient.
La relation thérapeutique dépend certes d’une entente dans le couple soignant-soigné, mais cette entente repose sur l’attitude et la personnalité des protagonistes. A l’évidence, le changement a pris appui sur une ambiance de confiance, de sécurité et de non-jugement. C’est dire comme toute thérapie reste aléatoire quant à son efficacité.
Et ce thérapeute, qui est-il ?  
Un guide ? Oui, dit François Roustang, mais un guide qui ne devance pas. Il accompagne, il suit.
Un maître ? Non.
Il est vrai qu’il doit avoir déjà fait l’expérience pour lui-même. Mais pour le patient, il ne sait pas. « Les études qui ont été faites sur l’efficacité des différentes thérapies donnent toutes la plus grande importance à la personne du thérapeute, répond François Roustang. Ce facteur passe avant tous les autres et, en particulier, avant sa compétence dans la spécialité qu’il propose ou défend. Mais il faut souligner que la valeur d’un thérapeute réside d’abord et avant tout dans la qualité de son absence de savoir et de prétention à résoudre les problèmes qui lui sont proposés. Devant tout nouveau patient et à chaque séance, n’avoir aucun appui sur des expériences et des connaissances antérieures est le seul moyen de respecter l’originalité de l’interlocuteur.  »
Pour pouvoir décrire librement ce qui se joue entre le thérapeute et son patient au cours d’une séance d’hypnose, il faut sans doute, dans un premier temps, délaisser toutes les formules antérieures : transfert, contre-transfert, relation au père, état amoureux, état régressif, etc., d’autant que certains problèmes peuvent être résolus en une session unique d’hypnose. La rencontre est alors forte, productive, mais si brève qu’il faut revoir nos concepts relationnels.
« Ce n’est pas une relation amoureuse, dit François Roustang, ce n’est pas une relation amicale, ce n’est pas une relation de travail, c’est un rapport qui, à chaque séance, doit conduire le patient à la solitude de la décision et de l’action. De l’autre côté, à chaque séance le thérapeute doit disparaître, doit avoir disparu, doit être oublié et rendu inutile. »

Finalement, la forme de la relation nous importe peu. C’est l’attitude du soignant qui sera déterminante.
Devant cette instantanéité de certaines cures résolues en une ou deux séances, François Roustang provoque en décrétant qu’il n’y a pas de relation !
« On pourrait se demander finalement s’il est légitime, dans la pratique de l’hypnose, de parler de relation thé¬rapeutique. Car il semble bien tout d’abord qu’il n’y ait pas de relation entre ce qu’on appelle des sujets, puisque, comme on l’a vu, les deux se situent là où le “moi” ou le “je” sont en suspens. Si ces individualités sont en relation, elles ne forment donc pas une relation à deux, car le patient est venu avec son monde, et le thérapeute est là pour s’en approcher en s’abstrayant du sien. Il n’y a pas non plus de relation thérapeutique en ce sens que, dès son commen¬cement, elle est marquée par le signe de sa disparition. La relation n’a pas plus de durée que celle du mouvement des danseurs.  »
La métaphore est lancée !
Examiner la relation qui s’établit entre un patient et son thérapeute ressemble à observer les clichés photographiques d’un mouvement. Ils ne sont qu’une petite part de ce mouvement que l’on étudie. Il faudrait garder à l’esprit la dynamique de la danse et les multiples autres éléments qui composent ce mouvement et dans lequel la relation thérapeutique se glisse.
La plus belle image de cette relation serait donc celle de deux danseurs qui se réunissent et entrent dans le mouvement, portés par une musique. La thérapie dure le temps d’une danse. L’ambiance est une musique harmonieuse qui s’installe entre les deux danseurs. Les corps ankylosés, traversés par le rythme, retrouvent leur souplesse. Ce qui était désaccordé retrouve une justesse. Le plaisir et la joie du mouvement prennent le pas sur la plainte.
« Le rythme et les accords s’élèvent de l’espace sensoriel et magnétique, c’est-à-dire de l’environnement, de la variété des situations, des circonstances et des gens. Chacun est une parcelle de cet espace. Il lui suffit de s’y laisser porter et emporter. »
Cela nous explique aussi les échecs en thérapie. Pas d’harmonie, pas envie de danser, pas sensible à la « musique » et pas le bon partenaire.

Le déroulé d’une séance d’hypnose est un mouvement en plusieurs étapes, une dynamique comme des pas de danse photographiés ou filmés au ralenti. François Roustang en donne une description précise et riche.

LA RENCONTRE
Les danseurs s’évaluent et se testent avant de se lancer sur la piste.
« La communication humaine ne se fait pas d’abord par le langage... Les mots servent de voile à cette investigation silencieuse qui scrute les moindres mouvements du corps. Nous avions perçu des signes qui certes peuvent nous tromper, mais ce sont ces signes sur lesquels nous allons nous fonder pour émettre d’autres signes en réponse. Ce n’est pas que nous ne portions pas attention aux paroles, mais c’est qu’elles ne peuvent dire le message dont les signes sont porteurs. Il en est de même dans une thérapie. La façon dont la personne se présente, le ton de sa voix, la posture qu’elle adopte dans le fauteuil, et en réponse la tranquillité ou l’inquiétude du thérapeute, la qualité de sa présence, le poids ou l’inconsistance de sa parole indépendamment de son contenu, seront des signes qui décideront de la valeur du futur parcours. »

LA CONVERSATION, INVITATION À LA DANSE
Madame, Monsieur, voulez-vous m’accorder cette danse ? Cette invitation commence par une demande verbale. Dans d’autres circonstances, les danseurs se rapprochent l’un de l’autre sur la piste de danse. Ils perçoivent si leurs corps vibrent d’une même fréquence.
Assez vite l’échange verbal va laisser la place au mouvement.

« Il n’est pas question de faire taire le patient, au moins dès l’abord. Il a besoin de parler et il demande à être écouté… Il faut parler parce que l’humain est, entre autres, un être parlant. Interdire d’user du langage au cours d’une thérapie serait ressenti, à juste titre, comme une mutilation, comme la négation d’une part décisive, comme une invite à se faire manipuler comme un objet.
Pour pouvoir se taire, il faut sans doute avoir beaucoup parlé.
Mais c’est le pouvoir de se taire qui assure le lien et qui rend les positions modifiables. L’essentiel est de faire en sorte que la parole ne gêne pas le geste qui unifie la complexité. Le poète sait qu’il lui faut se méfier des mots, “ces collants partenaires”, parce qu’ils tiennent la tête loin du corps. »

LA DANSE COMMENCE
Dans le vacarme de la musique assourdissante, les mots deviennent inaudibles. Le corps cherche le bon mouvement, le geste juste. L’interaction pousse à trouver un équilibre. Après la danse, la conversation pourra reprendre.

« Le thérapeute parle beaucoup, ne serait-ce que pour induire la transe. Cette parole est alors essentiellement une “DÉPAROLE” qui vise à faire perdre aux mots toute signification. La parole est ici utilisée à l’envers pour introduire à l’expérience qui est non pas une recherche du sens, mais une entrée de la personne tout entière dans le sens de la vie. Le patient parle lui aussi, d’abord pour indiquer pourquoi il est venu et ce qu’il attend de sa démarche. Elle sert de socle à sa plainte ou à sa volonté d’en sortir, mais elle doit s’écarter. Au cours des séances ou à la fin, la parole pourra être reprise pour indiquer au thérapeute ce qui se passe et s’est passé. »

LE THÉRAPEUTE DEVENU UN CALLIGRAPHE
Et voilà notre thérapeute qui s’implique et incite son patient à trouver une position confortable qui va le libérer de ses entraves et lui permettre d’effectuer le geste simple et inspiré du calligraphe. Une plume tenue entre trois doigts, puis un seul geste, ample et décisif.

« Le thérapeute joue un rôle premier, car c’est lui qui commence, qui se rend présent sans s’échapper dans la réflexion ou l’exercice d’un pouvoir, mais qui est soumis à l’autre tel qu’il est pour s’y accorder. Sans oublier qu’il doit se désaccorder tant que le patient n’est pas tout à fait présent dans son geste.
Il n’y aurait alors nul besoin de faire appel, pour comprendre la relation thérapeutique, à un lien d’ordre affectif ou cognitif – vous êtes assis, vous êtes placé, vous êtes posé de travers ou de guingois, soyez assis, posé, placé de façon qui convienne à votre existence. Il est vraisemblable qu’un tel geste guérisseur ne serait pas possible sans la participation du thérapeute… Le corps investi par une pensée qui ne se pense plus elle-même, mais qui est tout entier occupé à se mettre en correspondance avec le geste qui tente de s’effectuer en face de lui, qui se dessine, s’interrompt, se reprend et s’achève. A chaque étape, vérifier la justesse de ce qui s’accomplit ou ne peut s’accomplir, ou attendre que les effets se manifestent. »

LES PAS DE DANSE ou la communication non verbale
Le corps va trouver sa place par des ajustements. Ils peuvent être progressifs. Parfois le basculement est radical, instantané. La chorégraphie a convenu.

« Accompagner les prodromes d’une chorégraphie qui s’instaure entre thérapeute et patient. Quelque chose d’évident et d’élémentaire qui est seulement pris au sérieux et dont les conséquences sont tirées. Evidence perçue par les chercheurs qui analysent les mouvements réciproques des personnes qui s’entretiennent ou qui jouent ensemble.
Le fond de toute thérapie, ses fondements incontournables seraient une communication par signes, soumise à l’exigence réciproque d’un investissement de toute la personne en vue d’une intégration de plus en plus complète de toutes les orientations qui la constituent.
Le thérapeute n’est pas indifférent, puisqu’il est engagé dans une entreprise qui réclame toute son attention ; il n’est pas neutre non plus, car il exerce sur son interlocuteur une pression dont il ne peut se défausser. Il est vide de tout préalable parce qu’il ignore ce qui pourra se passer. Il ne sait et ne veut rien savoir des tours et détours qui conduiront éventuellement à la motilité future.
Immobile en apparence, il est enfoui, il disparaît dans une multitude de petits mouvements esquissés à la recherche de ce qui, chez le patient, pourrait commencer à se mettre en branle et faire abandonner une posture figée et rétrécie.
Il suit sans cesse, mais c’est pour précéder quelque peu, juste ce qu’il faut pour ne pas perdre le contact et juste ce qu’il faut pour que ce qui s’est mis à bouger prenne une plus grande ampleur. »

COMMENT ENTRAÎNER SON PARTENAIRE À DANSER ?
Le thérapeute aime danser. Il aime le rythme. Il ressent le tempo. Tout son corps vibre de joie. Cette jubilation va contaminer son patient. Par quel procédé ?

« Par sa propre mobilité. Mais où va-t-il trouver la possibilité de se mouvoir dans son rapport au patient ? Dans le vide qui va lui permettre d’instaurer une aire de jeu, de commencer une danse dont les figures ne sont pas prescrites.
Mais qu’est-ce que ce vide ? Tout simplement avec son propre mouvement vital, avec son goût de la vie comme liberté de préluder l’avenir.
Si le thérapeute n’est pas vivant, s’il se contente d’être un vivant qui n’est pas plus qu’un mort en sursis, s’il ne redouble pas sans cesse son existence d’être vivant par le plaisir et l’abondance de l’être, s’il n’éprouve pas le plus haut de sa joie à relancer pour un autre le mouvement de la vie, que pourrait-il pour susciter l’étonnement de se mouvoir ?
Ce qui signe la fin d’une thérapie et qu’il reçoit en écho parfois, comme le sceau sur la dernière page d’un contrat, se dit en un mot qui est un cri : “J’existe, je suis vivant.” A cela il n’y a rien à ajouter. »

LE TOURNIS DU DERVICHE
La souffrance est assimilable à un tournis interminable qui désoriente la personne. Elle s’épuise. Devient confuse. Comme le crescendo du Boléro de Ravel, elle attend le geste qui va mettre fin à l’escalade intense.

« Seul un geste est capable dans sa simplicité de mobiliser et de faire s’interpénétrer l’esprit, le corps, le langage, les autres, l’espace environnant, parce que le geste est seul à pouvoir rassembler tous les éléments qui constituent un monde et à l’inverse être formé par lui. »

S’ABANDONNER À LA MUSIQUE
Le monde où nous vivons est un mouvement perpétuel. Un globe qui tourne, des saisons, du vent, des chants d’oiseaux et le babillage des enfants. Quand les musiques du monde lui deviennent audibles, le patient est guéri !

« L’être humain doué de la capacité de prendre ses distances avec sa propre situation doit, par des processus particuliers, combler cette distance, la parcourir à l’envers, apprendre à devenir ce qu’il est, ce qui est son fait négligé.
Il doit donc à nouveau sentir les liaisons. Sentir “partout à la fois” veut dire que l’on y est et que, enfin, on s’est laissé troubler et bouleverser au point de ne rien refuser, de tout laisser venir. C’est le lot du vivant. Il est avec tout, avec tous les vivants de tous les temps. Les quelques-uns qui sont proches ne font souvent que lui cacher son appartenance aux autres dans le temps et l’espace. Il est vivant dans une très longue histoire du vivant. »

PLUSIEURS RELATIONS
Peut-être que la relation qui vaudrait la peine d’être étudiée serait la relation non pas entre deux personnes, mais entre une personne et son corps ou entre une personne et son environnement ?
La relation au thérapeute ne serait qu’une étape préalable avant le vrai soin, celui qui va porter sur les conflits dans le corps et les conflits avec l’extérieur.
Une des définitions de l’hypnose reprend ce terme de relation : « L’hypnose est une entrée en relation pour modifier la relation à ». La pathologie serait un trouble de la relation au corps, ou au diagnostic, ou à l’entourage, ou à l’espace, ou au passé, etc.
 
La thérapie va donc porter sur l’examen des relations, pour proposer d’autres types de relations plus adéquats. Cela demande une présence et une acuité chez le soignant qui décèle les troubles de la relation. Le patient était désorienté. Il vient voir un « accordeur » qui l’examine comme on examinerait un instrument. Ce dernier lui fait entendre le « la » et attend que ce patient-guitare retrouve la bonne sonorité. Le thérapeute resserre une corde, en libère une autre jusqu’à ce que la note sonne juste. Quel soulagement pour le patient de retrouver son corps instrument de musique redevenu fonctionnel. Il peut rejoindre l’orchestre et reprendre sa place dans l’existence.

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