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Quelle rhétorique pour introduire la prescription de tâches ?
Sincérité et authenticité pour activer les processus créatifs et sortir du figement - Par le Dr. Wilfrid MARTINEAU

La prescription de tâches s’inscrit régulièrement dans le processus thérapeutique des thérapies brèves. Elles ne sont pourtant pas systématiques et Steve de Shazer (1) pensait que l’essentiel résidait dans le changement obtenu pendant l’entretien grâce au questionnement thérapeutique. Pourtant elles font un pont entre deux consultations et introduisent l’idée d’une responsabilisation du patient dans le changement. En thérapie brève, la tâche est une expérience censée amener un changement de perception qui implique alors un changement de comportement et, en dernier lieu, un changement cognitif, si bien que le problème ne puisse plus être envisagé sous le même angle.

Les tâches structurées en fonction du type de problème doivent tenir compte des patients qui ne sont pas en mesure d’entendre la même chose, même si leurs problèmes sont superposables. C’est pourquoi on a souvent distingué la position du demandeur de soin de manière à adapter l’entretien et la prescription. Les visiteurs (touristes), plaignants (chercheurs), clients ou co-thérapeutes, même s’ils présentent une problématique similaire, ne vont pas recevoir les questions et propositions du thérapeute de la même manière. Ce serait contraire à l’esprit de l’hypnose et des thérapies brèves d’appliquer un protocole systématique et d’oublier le « sur-mesure » adapté à chaque client.

Point de départ
Le premier changement est agi et on initie un changement comportemental avant d’obtenir un changement de compréhension (cognition nouvelle). Mais pour ouvrir ce processus, il est nécessaire que le sujet perçoive :
- que c’est possible ;
- que ça ne lui coûtera rien ou peu ou que l’effort sera payant.

L’art du thérapeute doit comporter une parfaite connaissance du problème, une juste compréhension des attentes du patient, de ses besoins et de son contexte, mais surtout une force de persuasion pour que le patient effectue ce qui lui est proposé. C’est l’exécution de la tâche qui modifiera la façon de percevoir, d’agir et de penser. Pour amener le sujet à effectuer une tâche, il faudra développer ce que Giorgio Nardone appelle l’art de la persuasion (2).

La première tâche (du thérapeute) est d’abord d’évaluer la position du patient, là où il en est dans sa vie (demande de changement), de connaître les valeurs sur lesquelles il s’appuie, son contexte de référence. Ensuite, on peut l’amener progressivement vers une perspective de changement. Ce cheminement n’est pas le même dans la démarche des TOS (thérapies orientées solutions) que dans celle des TBS (thérapies brèves stratégiques). Mais dans ces deux approches, c’est le déroulement le plus complet de la consultation qui va autoriser une prescription adaptée, parfois très modeste.

En TOS, on amène le sujet à une sorte de transe conversationnelle qui entraîne presque l’hallucination du changement (la question miracle). Une fois le scénario créé dans l’imaginaire, il suffit de revenir dans la réalité présente du patient, celle des exceptions au problème, pour lui démontrer sans le lui dire qu’il est déjà en chemin. Giorgio Nardone en TBS (3) invite le patient par des questions sous forme alternative à découvrir l’évidence du problème tel qu’il se présente ; la reformulation n’étant là que pour confirmer cette vision.

Les compliments dans les TOS
La structuration de la consultation dans les TOS sépare assez clairement l’entretien de la prescription, parfois grâce à une pause. A l’issue de cette pause, le praticien résume les acquis de l’entretien en insistant sur tout ce que le patient a réalisé en lien avec ce à quoi il tient le plus dans la vie. On insistera ainsi sur ses qualités, ses valeurs pour assoir la prescription qui se lit alors comme une continuation de la réalisation de ce qui est important pour lui. Le thérapeute rappelle les points forts, les acquis et les succès (les exceptions). Les tâches de continuation peuvent être comprises comme un encouragement à faire plus dans la même direction, mais elles sont aussi une invitation à tenir le fil d’Ariane qui conduit chacun de nous dans une direction implicitement choisie et qui fait sens. C’est le point de rapprochement avec les thérapies narratives (4) qui insistent sur cette notion de direction de vie.

Les mots « compliments » ou « félicitations » sont sans doute inadéquats. Il s’agit de reformuler les points essentiels de l’entretien repérés par le thérapeute et mis en exergue par ses questions pour transmettre un message positif au patient, ne serait-ce que celui d’avoir eu le courage de se déplacer ou d’être à l’heure à la consultation. En aucun cas ces compliments ne sont des flatteries. Ils s’appuient sur la réalité partagée par le patient et le thérapeute à ce moment-là de l’entretien. Reconnaître les efforts du patient, les valeurs dont ils témoignent, c’est seulement s’appuyer sur une réalité que lui-même ne voit plus mais dont il peut convenir. Le thérapeute reste sincère et authentique, comme le souligne Alain Vallée (5), sinon il risque d’être inaudible.

Steve de Shazer pouvait l’assortir d’un geste comme une poignée de main chaleureuse. Parfois le compliment sera indirect, par la recherche systématique de tout ce qui est important et positif pour la personne. Reconnaître ses propres qualités, grâce aux réponses aux questions, est une invitation à les utiliser. La tâche découle de l’acquis de la consultation : « Faites quelque chose qui va dans le sens de ce que vous vous savez capable et observez ce qui se passe alors dans votre vie. »

Yvonne Dolan (6) insistait beaucoup sur ces approches où le thérapeute fait contrepoids. La tâche est la conclusion naturelle des découvertes de l’entretien. Elle n’est pas superposable à une autre situation. Ce qui est réalisable et reproductible pour le thérapeute, c’est la façon de mener l’entretien par des questions répétitives sur les qualités, points forts, succès qui mettent en valeur la personne sans nier les fragilités inhérentes à tout être humain.

Yves Gros-Louis (7) insiste sur la qualité de la validation, sorte de reformulation qui fera le pont. Celle-ci doit être au plus près de l’expérience du patient. Elle doit réfléchir les émotions, les perceptions, les croyances, les mots, les valeurs en incluant un regard positif sur le patient, regard qui peut être accepté comme le serait celui d’un simple miroir. Pour cela l’écoute doit être orientée sur les forces, les compétences, mais aussi sur les efforts du sujet pour résoudre son problème. Sans cette reconnaissance, il risque de ne pouvoir accepter la proposition. La meilleure des tâches sera celle que choisit le client car, au terme de l’entretien, elle apparaît comme une évidence.

Les précautions oratoires dans les TOS
Si l’on doit prescrire une tâche, il est souhaitable de la présenter comme un défi et de mesurer sa faisabilité avec une échelle pour éviter d’engager le patient vers une difficulté décourageante qui le ferait renoncer au changement : « Ce que je vais vous demander n’est certes pas facile mais il peut être utile de faire cette expérience. Entre 0 : je suis sûr de ne pas le faire, et 10 : je sais que je vais le réaliser, à combien êtes-vous sur cette échelle ? »
Si la réponse est en dessous de 5, il faut se garder de proposer cette tâche et revenir à une proposition plus minimaliste comme d’observer ce qui va qui augmenter la confiance dans la réalisation.

L’art de la persuasion dans les TBS
Il faut distinguer persuader et convaincre. Persuader, c’est amener vers soi, tandis que convaincre témoigne d’une joute oratoire entre deux adversaires avec possible escalade symétrique et à l’évidence un vaincu et un vainqueur. Mais est-on jamais sûr d’avoir emporté la conviction de l’autre ? En thérapie, patient et thérapeute ne sont pas en face à face mais en alliance vis-à-vis du symptôme et du problème. Simplement, le thérapeute doit amener le patient à accomplir les actes d’une stratégie qu’il ne connaît pas ou qu’il ne comprend pas. La prescription et sa réussite découlent non des arguments employés mais de questions simples qui amènent des reformulations si évidentes qu’un consensus s’établit.

Le langage de la tâche
Il convient de discerner la forme du fond. Si le fond est plein de sens, la manière de présenter compte autant sinon plus, comme le rappelle Paul Watzlawick (8) : « Tout comportement est communication et tout comportement comporte deux aspects, le contenu et la relation, tels que le deuxième englobe le premier. » William H. O’Hanlon (9) le dit d’une autre manière : « L’utilisation créative et attentive du langage est peut-être la méthode indirecte qui a le plus d’influence pour créer des contextes dans lesquels le changement est perçu comme inévitable. » Depuis l’Antiquité on s’appuie sur la rhétorique pour assoir l’argumentation et emporter l’adhésion de l’interlocuteur. Steve de Shazer lui-même disait : « La véritable influence, c’est d’activer les processus de l’autre. »

Les tâches prescrites dans les différentes situations cliniques relèvent d’une clinique psychopathologique, d’une analyse systémique ou du système perception/réaction. Notre objet est de nous intéresser à l’art de les présenter afin qu’elles aient une chance d’être réalisées et d’atteindre leur but qui est pour l’essentiel de modifier les perceptions du patient vis-à-vis de sa situation/problème, de telle manière qu’il ne puisse plus renouveler à l’infini un mode d’être au monde qui entretient le problème ou l’enferme dedans.

L’hypnose a beaucoup influencé l’art de la communication thérapeutique. Steve de Shazer, John Weakland (10), Paul Watzlawick, Bill O’Hanlon, Luc Isebaert (11) et bien d’autres qui ont particulièrement développé les thérapies brèves, font référence à Milton Erickson et tous avaient une pratique de l’hypnose qui a influencé leur pratique de la thérapie. Toutefois Giorgio Nardone a sans doute encore plus insisté sur la forme du langage thérapeutique dans la conduite de l’entretien, singulièrement dans la prescription de la tâche (12).

S’il est impossible d’être exhaustif pour décrire ce mode de communication, il est bon d’en rappeler quelques éléments essentiels qui vont concerner le langage verbal, la forme du discours, le langage non verbal et le langage paraverbal.


Langage verbal
On peut communiquer avec un langage synchronisé, quand c’est possible, qui reprend l’essentiel des mots du patient et même ses expressions métaphoriques, tout particulièrement dans les séquences de reformulation. Ce langage de proximité doit inclure la validation de la position du patient (ses croyances autant que ses efforts et ses valeurs) tout en légitimant les difficultés et en connotant positivement ce qui peut l’être. Le choix des mots comme celui des verbes est essentiel et on privilégiera des verbes centrés sur les perceptions (voir, observer, être attentif à, ressentir...) et les verbes d’action (faire, créer, chercher...) en évitant les mots et verbes qui pourraient être à tonalité conflictuelle ou limitante.

Ce langage, volontiers positif, est un langage de vie, d’engagement, destiné à sortir du figement provoqué par la situation-problème ou la répétition des mêmes schèmes d’action. On aura soin de conjuguer le problème au passé et les solutions ou prescriptions au futur (plus qu’au conditionnel). « Quand le miracle se sera passé dans la nuit, que ferez-vous de différent le lendemain matin au réveil ? » est plus pertinent que « si un miracle se passait, que feriez-vous ? »

Les mots moteurs impliquent une action, un changement possible quand l’action est pertinente, et laissent passer le message implicite que le patient a du pouvoir sur sa vie, sur son problème, qu’il a des ressources propres à permettre un changement. Ils le responsabilisent dans une expérience source de solutions.

L’usage du et centre le patient sur les possibles et se fera dans les reformulations et les phrases injonctives, tandis que l’usage du ou sera de préférence réservé au questionnement stratégique. « Dans cette situation, vous préférez plutôt éviter ou plutôt faire face ? »
« Je vous invite à poursuivre ce que vous faites déjà et qui marche et en même temps à observer les conséquences sur votre environnement de ce nouveau comportement. »

La forme du discours
En beaucoup de points il se rapproche de celui utilisé en hypnose conversationnelle. Il s’agit d’un dialogue au cours duquel vont se rencontrer deux esprits différents mais qui concourent à un même objectif, car ce dialogue crée l’idée que chaque question est une avancée vers la compréhension du problème, de son contexte et de sa solution. La reprise prudente des réponses montre qu’on avance pas à pas et ensemble. Cette forme de dialogue « hypnotique », par la pertinence des questions, amène le patient à constater qu’à l’évidence ses tentatives de solution ne fonctionnent pas, voire aggravent le problème. Le patient va finalement se convaincre lui-même par ses propres réponses.

Le questionnement est donc moins ouvert en TBS que dans les TOS quand il s’agit de guider le patient vers des découvertes concernant ses tentatives de solution. C’est un questionnement sous forme alternative qui propose des couples d’opposés en invitant le patient à choisir une voie car ces couples d’opposés sont en lien avec les interactions du sujet avec son problème et la réalité environnante. Devant cette alternative, le patient est amené à mieux définir ce qu’il ressent et à choisir un comportement qui sera plus en rapport avec ses intentions, même si ce n’est pas celui qu’il adoptait jusqu’à présent.
- Patient : « Je suis au bord de la route, j’attends tout des autres...
- Thérapeute : Sur le bord de la route, qu’est-ce qui est préférable : mendier ou aller à la rencontre de l’autre ? »

Le thérapeute va volontiers utiliser des images fortes, destinées à créer des représentations parfois aversives dans le but de restructurer la perception. Des citations, des aphorismes, des proverbes vont venir appuyer ces images pour inciter le sujet à s’éloigner de son comportement et l’amener à un changement, qui reste bien sûr en lien avec l’objectif thérapeutique et le contexte. Par exemple, on peut avoir une anecdote qui va dans le sens de persévérer dans une même voie tandis qu’une autre invitera à renoncer.
L’histoire des deux petites souris tombées dans un seau de lait nous invite à persévérer tant que la vie est là. L’une des souris renonce et se noie tandis que l’autre, à force de nager, se retrouve le lendemain, vivante, posée sur une petite motte de beurre.
Mais l’histoire de la mule grecque qui fait seule chaque jour le même chemin avec sa charge et qui, un jour, rencontre un tronc d’arbre renversé par la tempête sur le sentier et qui avance et insiste jusqu’à se fracasser le crâne dessus au lieu de se détourner de ce chemin, représente une image choc du caractère vain et même délétère de la répétition de la même tentative de solution.

Les reformulations permettent de mettre en exergue la façon dont le problème persiste en reprenant les réponses du patient avec prudence. Cette paraphrase construit une narration qui introduit implicitement la solution. La prescription découle ainsi naturellement d’une découverte semblant conjointe du thérapeute et du patient. La logique de l’entretien, telle que la décrit Giorgio Nardone associant quelques questions sous forme de choix alternatif, des reformulations qui font la synthèse des réponses et quelques images fortes, aboutit de façon fluide à une prescription dont l’évidence est incontestable alors qu’elle eût pu paraître fantaisiste en début d’entretien.

Associer la logique (découverte qui résulte de l’entretien) et l’image qui illustre la découverte permet de mobiliser à la fois la sphère cognitive et la sphère émotionnelle, assurant ainsi une intégration plus complète du message tout en restructurant la perception. Le langage de la tâche se fera sous forme injonctive et la tonalité du discours sera différente de celle de l’entretien.

On utilisera volontiers la répétition ou des formes rhétoriques comme la concaténation avec des mots forts sur lesquels on insiste pour qu’ils s’inscrivent dans la mémoire. « Bien sûr, vous pouvez continuer à vous plaindre, c’est naturel, mais vous savez aussi que plus vous vous plaignez, moins vous êtes entendu (conclusion devenue évidente pendant l’entretien). Alors vous pouvez continuer à vous plaindre mais en ayant présent à l’esprit ceci : “plus je me plains, moins on m’entend”. » La phrase peut être répétée sous une forme un peu différente.

Le langage non verbal
La bonne distance vis-à-vis de l’interlocuteur est importante pour créer une atmosphère de proximité qui l’autorise à nous répondre et donc à nous aider à l’aider tout en respectant ses défenses. On peut aussi interroger la personne pour savoir si la distance lui permet un certain confort. En fin d’entretien, le thérapeute pourra s’autoriser une position différente, avec un buste plus avancé.

En début d’entretien, on peut avoir un geste d’invitation à la parole pour que la personne se sente accueillie, autorisée à s’exprimer sans y être contrainte non plus par un silence trop pesant. Le regard du thérapeute ne sera pas trop direct dans la phase de découverte pour éviter tout sentiment intrusif qui ferait barrière. Le ton reste humble car le thérapeute est juste un intervieweur à la découverte d’un problème et de sa solution. Il adopte une position dite basse, pleine d’humilité, pour favoriser les réponses du patient les plus spontanées qui seront accueillies sans aucun jugement. A l’inverse, le regard sera plus direct dans la phase terminale de l’entretien, au moment où seront proposées les dernières reformulations et la prescription. Ici, on est volontiers sur un mode injonctif.

Le langage paraverbal
Le ton de la voix, la prosodie, le rythme des mots, l’usage des silences sont aussi importants car ils accompagnent le discours d’un thérapeute concerné qui croit aussi à ce qu’il propose.

Au total, on voit qu’une prescription, quelle que soit l’approche thérapeutique, se prépare tout au long de la consultation. Elle vient ponctuer la consultation d’une manière naturelle et tout ce qui aura été entrepris pendant l’échange incite à ce qu’elle soit intégrée car porteuse de sens, puis exécutée en vue de favoriser un changement de regard sur le problème qui s’accompagne d’une interruption du schème répétitif antérieur.


Bibliographie
1. De Shazer S., Différence. Changement et thérapie brève, Bruxelles, Satas, 1996.  
2. Nardone G., Persuasion et langage : l’art noble de la persuasion, Enrick B éditions, 2016.
3. Nardone G., Salvini A., Le dialogue stratégique, Le Germe/Satas, 2012.
4. White M., Cartes des pratiques narratives, Le Germe/Satas, 2009.
5. Vallée A., Manuel pratique de thérapie orientée solution, Bruxelles, Satas, 2017.
6. Dolan Y., Guérir de l’abus sexuel et revivre, Le Germe/Satas, 1996.  
7. Gros-Louis Y., Psychothérapie : l’approche brève orientée solutions, Jouvence Editions.
8. Watzlawick P., Le langage du changement, Seuil, 1980.
9. O’Hanlon W.H., Weiner-Davis M., L’orientation vers les solutions. Une approche nouvelle en psychothérapie, Bruxelles, Satas, 1995.
10. Fish R., Weakland J., Segal L., Tactiques du changement. Thérapie et temps court, Seuil, 1986.
11. Isebaert L., Cabié M.-C., Pour une thérapie brève, Erès, 1997.
12. Nardone G., Portelli C., La connaissance par le changement, Le Germe/Satas, 2012.

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