top of page
Articles
Peurs traumatiques, peurs anticipatoires
Par le Dr. Eric BARDOT Eric
Cet article vous propose d’aborder la spécificité des peurs anticipatoires par rapport au psychotraumatisme.
Ce sujet m’a demandé des années de travail. Il peut s’articuler autour de quelques idées simples. La peur est une de nos émotions princeps. Elle accompagne la prise de conscience d’un danger, d’une menace dans une situation réelle. Si elle est ajustée, elle va nous permettre de répondre de manière adaptée à la situation, que ce soit par le combat, l’évitement ou le figement. Si la peur s’accompagne d’un stress qui déborde notre mise en action, alors l’intensité de cette peur va nous envahir. Nous allons faire l’expérience de nous noyer dans cette peur et perdre le contrôle sur la situation. Nous parlerons alors de frayeur, d’effroi, d’horreur, de terreur, d’épouvante. Et là, nous entrons dans le psychotraumatisme. La répétition de situations qui créent des peurs intenses, surtout si elles sont imprévisibles, fait aussi le lit du monde traumatique.
Cette perte de contrôle peut activer les trois morts auxquelles est confronté l’humain : la mort physique, la mort sociale (l’exclusion) et la mort psychique (la folie). L’humain sait que la folie et l’exclusion peuvent amener des souffrances et des angoisses pires que celles de la mort. Dans les peurs anticipatoires, s’ajoute la question de la transmission : je ne veux pas que mes enfants vivent la même chose que moi. Pour faire simple, je vais illustrer la différence entre expérience psychotraumatique et peurs anticipatoires par une vignette clinique.
Vignette clinique
Il y a quelques années, j’avais reçu un convoyeur de fonds qui avait été victime quelques mois auparavant d’une attaque à main armée. Un des agresseurs lui avait braqué un revolver sur la tempe pendant plusieurs minutes où il s’est vu mourir. Depuis, il ne sortait plus de chez lui. Il restait le plus clair de son temps dans son lit. Il était très dissocié, dans la confusion, l’expression du regard vide. Il me disait qu’il avait des flashs ou il était ramené à la scène du braquage. Les bruits inhabituels dans son environnement avaient le même effet. Dans une connaissance de l’hypnose, nous pourrions dire que les déclencheurs l’amènent dans une expérience de régression en âge sur la scène traumatique. Après trois séances de réassociation, il allait beaucoup mieux. Il retrouvait plaisir à vivre. C’est alors que, sortant un peu plus de chez lui, les scènes de braquage sont revenues à son esprit. Après quelque temps de réflexion, car je ne comprenais pas ce qui se passait, je lui ai posé la question suivante : « Quand la scène du braquage revient à votre esprit, elle vous prend et vous ramène dans le passé ou cette scène est là devant vous ? » Sa réponse a été immédiate : « Non, je la vois devant moi. Et il ajoute : c’est étrange, c’est comme si c’était un voile qui se déchire. »
Par sa réponse, j’ai compris qu’il ne s’agissait plus du trauma mais de peurs anticipatoires. Et là je me suis dit : évidemment, s’il continue à s’améliorer va se poser la question de son retour au travail. De plus dans les décours du braquage, il avait eu le sentiment, à tort ou à raison, de n’être que « de la chair à canon » pour sa direction. Il se retrouvait dans la peur d’être contraint à retourner à son travail au risque de revivre une situation semblable. Nous avons bien sûr travaillé dans cette direction, ce qui l’a amené à réorienter sa vie professionnelle. Nous pourrions dire que le psychotraumatisme attaque le lien humain d’une manière telle que le présent est infiltré par les expériences négatives passées. La peur anticipatoire porte sur l’autonomie. Il s’agit de la peur de revivre dans le futur des événements semblables aux expériences passées traumatiques. Cette peur ne va plus porter sur le contact direct avec l’expérience réelle, mais sur la représentation de cette expérience sous forme d’images, de pensées, de comportements. Cette peur sur les représentations va être à la base des troubles phobiques, obsessionnels, voire se constituer en pathologies névrotiques avec conduites de réassurance.
Cette peur de revivre dans le futur des événements semblables aux expériences passées traumatiques repose sur la peur de revivre les mêmes effets dans la même inhibition à faire face. Cette action inhibée concentre la rupture du lien humain et cette expérience de ne plus être rien. Dans l’autonomie, c’est aussi l’action désirée et interdite : celle qui remet la personne comme personne humaine actrice et autrice de sa vie. Cela rejoint les idées de Pierre Janet comme quoi l’inhibition de l’action fait le lit de la névrose. Nous pourrions y ajouter qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle action. Il s’agit de celle qui, par sa réalisation, révèle un « j’existe comme être humain parmi les humains dans le mouvement de la vie ».
Script d’une séance avec Y.
Voici le script d’une séance avec Y., une patiente elle-même soignante. Elle avait déjà un long parcours de thérapie en lien avec une enfance insécure. Elle se présente à la fois dans une attitude volontaire et en même temps son corps est en tension. Je perçois qu’à la fois elle se montre motivée pour s’engager et qu’en même temps elle appréhende. Je vous propose, pour lire le script, de vous imaginer dans une pièce avec Y. (la patiente) et Th. (le thérapeute). Le questionnement de Th. a pour but de l’aider à entrer dans le monde de Y., à sécuriser la relation et à contextualiser de manière de plus en plus précise la scène qui contient la séquence en lien avec la peur. Nous utiliserons deux modélisations spécifiques à la thérapie du lien et des mondes relationnels, la nouvelle appellation de l’HTSMA : l’expérience sécure et la modélisation des peurs anticipatoires.
- Th. : « Bonjour Y., pouvez-vous nous dire ce qui vous a amenée à prendre rendez-vous avec moi aujourd’hui ?
- Y. : Bonjour, j’ai déjà fait une thérapie pour me libérer de mon passé. Aujourd’hui je vais mieux mais je continue à avoir peur en voiture. Mon amie m’a dit que vous pourriez m’aider.
- Th. : Quand vous me dites : “mon amie m’a dit que vous pourriez m’aider”, pouvez-vous me dire ce qui vous a amenée à faire confiance dans ce qu’elle vous a dit ?
- Y. : Parce qu’elle est venue vous voir. Je trouve qu’elle a plus confiance en elle. Alors, je me suis dit que vous pourriez m’aider...
Ce questionnement préalable a pour but de rendre présent dans la séance la relation de confiance avec son amie et qu’elle puisse opérer comme une ressource pour le bon déroulement de la séance.
- Th. : Lorsque vous me dites : “je trouve qu’elle a plus confiance en elle”, est-ce que vous pouvez me dire quel lien vous faites avec : “je continue à avoir peur en voiture ?”.
- Y. : En fait, c’est quand je sais que je dois faire un long trajet et que quelqu’un d’autre doit conduire.
- Th. : Lorsque vous me dites : “quand je sais que je dois faire un long trajet et que quelqu’un d’autre doit conduire, alors j’ai peur en voiture ?”, c’est ça ?
- Y. : Voilà, c’est ça.
- Th. : Si je comprends bien, vous me dites : “je suis en voiture, il y a quelqu’un d’autre que moi qui conduit, et en même temps je sais que je dois faire un long trajet”. C’est bien ça ?
- Y. : Oui. Quand on va dans les Pyrénées ou en Espagne, ça fait 700 kilomètres.
- Th. : D’accord. Et à partir de combien de kilomètres, pour vous, c’est un long trajet ?
- Y. : Euh...
Un silence s’installe. Y. réfléchit. J’attends tranquillement sa réponse comme le processus d’externalisation prend forme : je commence à visualiser dans l’espace entre nous la voiture qui roule, partie pour un long trajet, Y. devant, à côté du conducteur.
- Y. : En fait, j’ai peur de ce qui pourrait se passer pendant ce trajet.
- Th. : Ah ! très bien. Et lorsque vous me dites : “j’ai peur de ce qui pourrait se passer pendant ce trajet”, vous avez peur de ce qui pourrait se passer pendant ce trajet ou vous imaginez ce qui pourrait se passer pendant ce trajet et vous avez peur de ce que vous imaginez ?
- Y. : J’ai peur de ce que j’imagine.
- Th. : Ah ! d’accord.
Maintenant, nous savons que sa peur porte sur ce qu’elle imagine et anticipe.
- Th. : Là où nous en sommes maintenant, est-ce que c’est acceptable pour vous que nous allions un peu plus loin ?
- Y. : Oui.
- Th. : Très bien, alors est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous imaginez ?
Y. baisse la tête… puis la relève et me dit avec une voix tendue...
- Y. : En fait, j’ai peur de l’accident, j’ai peur de l’incontrôle des autres (mot qu’elle emploie), de ceux qui roulent comme des tarés. J’ai peur de l’agressivité, de comment ça pourrait se passer si, par exemple, un conducteur perd le contrôle.
- Th. : Donc si je comprends bien ce que vous êtes en train de nous dire, ce que vous imaginez, c’est l’incontrôle des autres, le conducteur qui pourrait perdre le contrôle ?
- Y. : Le contrôle pas forcément du véhicule, mais le contrôle de lui aussi ?
- Th. : Oui, c’est ça, il pourrait perdre le contrôle du véhicule ou le contrôle de lui-même.
- Y. : Oui, c’est ça.
L’utilisation du « nous » a pour objet de nous amener à partager la même scène et à découvrir que sa peur est dans la perte de contrôle de la situation par le conducteur et par effet en retour de se retrouver en danger sans pouvoir agir.
- Th. : Et si je vous demande maintenant d’observer là, devant nous, dans la voiture qui roule, le conducteur perdre le contrôle du véhicule ou le contrôle de lui-même, qu’est-ce qu’il va falloir que le conducteur fasse et qui va vous faire dire... il perd le contrôle ?
- Y. : Comment je m’apercevrais qu’il perd le contrôle, c’est ça ?
- Th. : Voilà, à quoi ?
- Y. : Ben, une conduite inadaptée, il se met à crier ou il se met en danger et il me met en danger, puisque je suis dans la voiture avec lui.
- Th. : D’accord, une conduite inadaptée et il se met à crier... Se mettre à crier, c’est la première chose qui vous vient pour témoigner de cette conduite inadaptée ?
- Y. : Crier ou accélérer.
- Th. : Ah ! crier ou accélérer... et c’est quoi la première chose que vous observez, là, entre crier ou accélérer ?
- Y. : C’est plutôt l’accélération de la voiture.
- Th. : L’accélération, OK... et pour que la voiture accélère, il faut qu’il fasse quoi... le conducteur ?
- Y. : Qu’il soit en colère, qu’il soit énervé.
- Th. : D’accord...
Je garde un court silence pour nous permettre de nous focaliser encore un peu plus sur la scène, maintenant bien circonscrite, avant de demander...
- Th. : Comment ?
- Y. : Il appuie sur l’accélérateur (Y. fait le mouvement avec son pied).
- Th. : Il appuie sur l’accélérateur ou son pied appuie sur l’accélérateur ?
- Y. : Son pied. Je suis souvent en train de freiner moi aussi.
Notre attention est maintenant centrée sur l’action qui est à la fois inhibée et désirée. Appuyer. Par effet mimétique, c’est elle qui est présente chez Y. Elle amène son corps à agir la contre-réaction de freiner dans l’impuissance. Nous allons pouvoir mettre en place et utiliser la modélisation des peurs anticipatoires.
- Th. : Y., là où nous en sommes, est-ce que vous êtes prête à ce que nous nous occupions de cette peur ?
- Y. : Oui.
- Th. : Alors nous allons reprendre tout le scénario : la route, la voiture, vous êtes dans la voiture, le conducteur conduit. Il est énervé, vous êtes à côté de lui ou d’elle ; vous vous voyez à côté de lui ou d’elle ?
- Y. : Lui.
- Th. : Lui, c’est... ?
- Y. : Lui, c’est mon mari.
- Th. : C’est plus précis. La route, la voiture, vous êtes à côté de votre mari, il est en colère et vous observez son pied appuyer sur l’accélérateur et la voiture accélère...
- Y. : Ce n’est pas agréable... (avec une grimace).
- Th. : Lorsque vous me dites : “ce n’est pas agréable”, nous pouvons continuer ou vous avez besoin d’aide ? Pour continuer ?
- Y. : On peut continuer.
- Th. : Alors, je vais demander à toute cette scène-là de venir à votre esprit. Et là, je vais mettre ma main devant vous comme un écran... et là sur cet écran va apparaître une phrase. Cette phrase, c’est moi qui vais la mettre sur l’écran... et lorsqu’elle va s’afficher, je vais vous demander de la regarder comme une image. Puis je vais demander à vos yeux de suivre le mouvement de mes doigts (Mouvements oculaires : Mo). C’est OK ? Je voudrais que toute la scène soit présente à votre esprit, là maintenant, la route, la voiture, vous deux dans la voiture, votre mari, vous à côté, votre mari en colère, son pied qui appuie sur l’accélérateur, la voiture qui accélère. Prête ? La phrase s’affiche sur l’écran, “appuyer, là maintenant, de quoi j’ai peur ?”... Mo (mouvements oculaires).
- Th. : Très bien, vos yeux poussent sur mes doigts.
- Y. : Je ne sais pas de quoi j’ai peur, mais j’ai peur (d’une voix affirmée et tendue).
- Th. : OK, on continue... Mo...
- Y. : C’est... je suis assez émue là... c’est... (du mal à respirer), ça me submerge un peu.
- Th. : Lorsque vous me dites : “ça me submerge un peu”, vous pouvez gérer par vous-même ou vous avez besoin de mon aide ?
- Y. : Je peux gérer.
Le thérapeute serait intervenu en soutien si Y. avait demandé de l’aide en mettant en place un toucher sécure.
- Th. : Alors, je vais demander à votre attention de se focaliser sur votre respiration... Mo...
- Y. : C’est mieux... Mo... Y’a une sorte de souvenir qui revient... Mo... J’ai l’impression de l’avoir vécu déjà petite. Oui, je pense l’avoir vraiment vécu petite avec mon père à côté... Mo...
- Th. : ... Mo...
- Y. : ... (soupir).
- Th. : Qu’est-ce qui vient, là ?
- Y. : J’étais dans la voiture avec mon père. Un chauffeur... il agresse mon père. Il le traite de connard. Mon père appuie sur l’accélérateur. On est en ville. On était à plus de 120 km/h, je pense... Le seul moyen que j’ai trouvé pour qu’il arrête la voiture, c’est d’ouvrir la portière (des larmes se mettent à couler)... voilà. Mo...
Là, va venir un souvenir traumatique. Y. va revivre l’expérience d’elle petite dans la voiture avec son père. La peur n’est plus en lien avec un scénario imaginaire décontextualisé de la situation réelle mais bel et bien avec une expérience vécue où de se voir morte va concentrer l’enfermement dans la voiture, le comportement de son père qu’elle subit et la met en perte de protection et en perte de confiance dans l’autorité comme autorité de soutien, la vitesse qu’elle ne contrôle pas et la peur qui l’envahie dans un scénario de seule au monde. Observons que sa tentative de fuite la met dans un danger encore plus certain mais dans lequel elle retrouve sa capacité à agir.
- Th. : Qu’est-ce qui vient, là ?
- Y. : Y’a quelque chose qui sort (Y. soupire et se met à souffler).
- Th. : Ces larmes, c’est plutôt apaisant ou plutôt douloureux ?
- Y. : Ça apaise... Mo... On vit des choses rapidement intenses (Y. expire et se met à rire).
Je nous permets de prendre le temps de vivre cette expérience comme un moment magique.
- Th. : Qu’est-ce qui vient, là ?
- Y. : Comme si j’avais eu les jambes flageolées, comme une grosse peur, une post-peur.
Le thérapeute prend ce que Y. dit comme des images sonores. Il s’abstient de chercher à comprendre ce que ça signifie au risque de casser le processus.
Mo...
- Y. : Ça se détend à l’intérieur.
- Th. : Très bien. Mo...
Y. se met à bâiller et fait oui, oui, de la tête.
Mo...
Y. continue à hocher de la tête. Elle entre dans une expérience de transe de plus en plus intense.
Mo...
Les yeux de Y. se ferment naturellement.
- Th. : Vos yeux peuvent se fermer... voilà, c’est bien... et maintenant cet apaisement va devenir de plus en plus présent, aussi présent que nécessaire. Et pour mieux accompagner la présence de cet apaisement, mes doigts vont venir tapoter au contact avec vos rotules.
Le Th. est centré à la fois sur son expérience intérieure de pleine présence et à la fois dans le rythme des tapotements lents, profonds et fractionnés au niveau des rotules. Ce tapotement a comme fonction de maintenir l’accordage patient-thérapeute dans la pleine présence, de faciliter la généralisation à tout le corps de cet apaisement qui va se transformer en une expérience de calme intérieur, de centration et de plénitude. Cette expérience partagée dans l’instant présent, en conscience primaire, est la base de l’expérience sécure. Enfin, cela permet de vérifier s’il reste encore un vécu dissociatif corporel (particulièrement au niveau de ses jambes comme elle en a témoigné).
Y. entre dans cette expérience de centration, de calme intérieur qui se généralise jusqu’à la plénitude. Une grande respiration puis un profond bâillement apparaissent. Ils signent cette expérience d’unité au niveau corporel. Y. ouvre les yeux à son rythme.
- Y. : Ah ! ça va mieux !
- Th. : Dans quelle partie de votre corps ce “ça va mieux” est-il présent ?
- Y. : Partout. Je suis plus tonique.
- Th. : Très bien. Nous pouvons continuer ?
Y. hoche la tête pour dire oui.
- Th. : Alors je vais vous demander de porter à nouveau votre attention sur votre corps et d’observer toutes les personnes qui vont venir se mettre en lien avec cette expérience dans laquelle vous êtes là maintenant.
A partir de l’expérience sécure, nous amenons Y. à se mettre en relation avec son groupe d’appartenance, ce que je nomme son collectif intime.
Mo...
- Y. : Je vois mes enfants, mon mari, ma sœur, des ami(e)s. Ils me sourient.
Y. prend un moment de silence...
- Y. : Je suis vraiment bien.
Nous partageons ce moment à nouveau dans un temps de silence.
- Th. : Est-ce que nous pouvons continuer ?
Y. répond par un oui affirmé et tonique.
- Th. : Observons la scène avec votre père qui accélère.
- Y. : Là, je la visualise comme un scénario banal... je n’ai plus d’émotion. Mo... Ah ! ça va vraiment mieux !
Y. se met à rire, toute joyeuse.
- Th. : Prête pour la dernière étape ? Nous allons imaginer que vous êtes à nouveau dans la voiture avec votre mari au volant, observez ce qui se passe de différent, là maintenant.
Nous entrons dans la dernière étape qui porte sur le travail d’anticipation et la prescription de tâche. Dans la plupart des séances, cette prescription de tâche est une auto-prescription. Concernant Y., le travail d’anticipation va porter sur la confiance.
Mo...
- Y. : Je lui fais confiance.
- Th. : Il est là au volant. Son pied appuie sur l’accélérateur. A combien vous lui faites confiance, entre 0 et 100, là, maintenant ?
- Y. : Je suis quand même à 60. Mo...
- Y. (après une grande expiration) : ... je vais lui faire confiance à 80.
- Th. : Comme vous me dites : “je vais lui faire confiance à 80”, j’aimerais, si vous le permettez, que vous portiez votre attention sur cette scène. Vous êtes tous les deux en voiture. C’est lui qui conduit. Vous lui faites confiance à 80 %, d’accord ? Maintenant, je vais demander à une personne de venir avec nous... une personne qui va vous donner l’autorisation de lui faire confiance à 80 %.
Pour que la confiance tienne, cela nécessite d’avoir confiance dans le fait qu’une relation de confiance soit possible. C’est la base sur laquelle s’installe la permanence du lien. Les réponses d’Y. nous montrent que la question de la confiance déborde la relation à son mari pour venir sur la confiance dans l’humain. Qui va lui donner cette autorisation de la confiance dans l’humain qui ne peut être que le fruit d’une expérience partagée.
- Y. : C’est bizarre. C’est mon grand-père. Mo...
- Th. : Qu’est-ce qui vient ?
- Y. : Son regard bienveillant. Il me dit : « tu peux y aller ». Mo... Ça va. En fait, je sais que je peux lui faire confiance (à mon mari). Je me rends compte que je le stresse.
Y. prend un moment d’introspection que je respecte. Lorsqu’elle me regarde à nouveau...
- Th. : Observez la première chose que vous allez pouvoir faire de différent dans les minutes, les heures qui viennent et que vous n’auriez pas fait avant la séance.
- Y. : Je vais en parler avec mon mari... à 100 %.
Y. se met à rire. Elle est en train de vivre l’échange futur avec son mari d’une manière affirmée, tonique et joyeuse. Après un nouveau temps de silence et d’intériorisation...
- Th. : Est-ce un bon moment pour terminer cette séance ?
- Y. : Oui. Bien sûr.
- Th. : Permettez-moi de vous remercier pour la confiance que vous m’avez accordée pour vous accompagner. Elle nous a permis de réaliser cette belle séance.
- Y. : Merci aussi. »
Travailler sur les peurs anticipatoires, c’est d’abord un travail de questionnement et de mise en forme à la recherche de cette action à la fois inhibée et désirée qui exprime une fois libérée un « j’existe comme sujet » en lien avec la vie, le monde, l’humain et le monde de mes représentations. La modélisation va permettre à la personne de traverser sa peur dans l’ici et maintenant de la séance en lien avec le soutien du thérapeute. Au niveau perceptif, l’entrée dans l’expérience sécure, la pleine présence, le calme intérieur et la plénitude révèlent ce « j’existe comme sujet ». L’expérience sécure permet de tisser les liens ressources pour le présent et le futur. Le travail d’anticipation permettra de valider dans la vie quotidienne la levée de l’action inhibée. La dernière étape permettra de travailler la séparation dans la permanence du lien. Milton Erickson avait cette formule élégante, dès lors qu’elle est l’expression de l’authenticité du thérapeute : « Ma voix t’accompagnera... et pourra devenir d’autres voix. »
En résumé, le psychotraumatisme enferme la personne dans un présent envahi par un passé mortifère où les liens sont altérés. Les peurs anticipatoires enferment la personne dans un futur saturé des représentations mortifères du passé. Ces représentations qui inhibent l’anticipation et la prise d’autonomie. Dans la thérapie du lien et des mondes relationnels, nous mobilisons des phénomènes hypnotiques complexes. Il s’agit d’amener le patient, avec le soutien actif du thérapeute, à transformer les relations à ces représentations mortifères du passé. Redevenir acteur et auteur de sa vie, construire une histoire de vie alternative, prendre ou reprendre le mouvement de l’autonomie en relation sur la base de l’expérience sécure, se séparer dans la permanence du lien, telles sont les grandes lignes de la thérapie.
bottom of page